Dominique Voynet, Sénatrice Verte, vient d’écrire à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire sur les recommandations établies dernièrement par l'OCDE relativement au développement des cultures dites de « biocarburants », que nous préférons appeler, pour éviter toute confusion, ce qu'ils sont vraiment : des « agrocarburants ».
Selon l'objectif fixé par l'Union européenne aux pays membres, la France doit, d'ici 2020, atteindre un objectif de 10% de « biocarburants » dans les transports. Il apparaît de plus en plus nettement que cet objectif, par ailleurs difficile à tenir compte tenu de la concurrence accrue dans l'usage des sols entre cultures énergétiques et cultures alimentaires, met en péril la sécurité alimentaire de nombreux pays dans le monde. Ce risque est désormais largement reconnu par les experts. Quelques jours après le sommet de la FAO à Rome, le directeur pour l'agriculture de l'OCDE a ainsi plaidé pour « réduire drastiquement le soutien aux biocarburants ». C'est selon lui « la mesure la plus urgente à prendre pour enrayer la hausse spectaculaire des prix des matières premières agricoles ».
(Photo : Dominique Voynet en décembre 2006 au cin'Hochelors du débat organisé par les Verts de Bagnolet sur le film d'Al Gore "une vérité qui dérange")
Elle lui demande de bien vouloir lui confirmer qu'il entend tenir compte de ces déclarations et de celles de nombreux experts internationaux et se prépare à réorienter, à court et moyen terme, la politique de la France en matière d'agrocarburants.
Ci-après, la fiche « Sinople (Sinople (Verts européens) centre d’étude et d’initiatives des Verts français au Parlement Européen) consacrée au agrocarburants.
Les agrocarburants
1. État des lieux
●Les agrocarburants sont des combustibles utilisés pour le transport, issus de la culture de végétaux.
● Ils ont été développés à partir des années 70 au Brésil en réponse au renchérissement du prix du pétrole, puis aux États-Unis. Dans l'Union européenne (UE), l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne sont les principaux pays producteurs. Ils se développent également en Asie du Sud-Est, à fin d’exportation.
● Les agrocarburants sont présentés par leurs promoteurs comme une solution aux crises énergétiques et climatiques, un nouveau débouché pour les agriculteurs et une filière créatrice d’emplois.
●Dans le cadre de sa politique énergétique, l’UE projette d’augmenter de 2 à 10 % la proportion de car burants issus de la biomasse dans la consommation totale des véhicules d’ici 2020.
●Pour remplir cet objectif, l’UE peut envisager soit de développer considérablement ses cultures énergétiques – cela nécessiterait de passer des 2 millions d’hectares de cultures énergétiques actuellement cultivés à 14 Mha – soit d’augmenter massivement les importations en provenance des pays du Sud, les tarifs étant très avantageux, soit encore d’encourager la production de carburants à partir de déchets organiques.
● Le développement des cultures énergétiques à grande échelle entretient le modèle agricole intensif et se fait au détriment des cultures alimentaires. Il se fait trop souvent au mépris des droits humains et sociaux fondamentaux et participe à la déforestation.
Pour ces raisons, l’intérêt des agrocarburants est aujourd’hui fortement remis en cause.
2. Les étapes importantes
● 2003 : La directive “visant à promouvoir l'utilisation de biocarburants ou autres carburants renouvelables dans les transports” doit permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre,et d’augmenter la sécurité d'approvisionnement en carburant.
● La directive sur la fiscalité des produits énergétiques donne la possibilité aux États d’exonérer les agrocarburants de taxe.
●2006 : La “Stratégie de l'UE en faveur des biocarburants” vise à préparer l'utilisation à grande échelle des agrocarburants et à développer la coopération avec les pays en développement pour la “production durable” d’agrocarburants.
●2007 : Les chefs d’États des 25 adoptent la nouvelle politique énergétique de l’UE pour les 10 ans à venir. Elle prévoit de porter à 10% la part d’agrocarburants sur le marché européen des carburants
d’ici 2020.
●2008 : La Commission présente le Paquet Énergie-Climat, visant à lutter contre le changement climatique. Il comporte une proposition de directive sur les énergies renouvelables qui réaffirme l’objectif
minimal de 10% d’incorporation de carburants issus de la biomasse pour chaque État membre et prévoit la fixation de “critères de viabilité environnementale”.
3. Les termes du débat
L’alternative au pétrole ?
● Les agrocarburants ne sont pas la solution à la fin du pétrole. Actuellement, dans l’UE, ils représentent moins de 2% de la consommation de carburant routier. D’après les projections, ils représenteront au mieux 12 % de celle-ci lorsque les agrocarburants de seconde génération seront au point.
● Les agrocarburants ne sont pas rentables. Leur développement est très largement subventionné par les pouvoirs publics, grâce à des politiques associant mesures coercitives (équipement des stations servi -
ces) et incitatives (fiscalité).
Contribution réelle à la lutte contre le changement climatique ?
●La participation des agrocarburants à la baisse des émissions de dioxyde de carbone (CO2) ne va pas de soi, en l’état actuel des connaissances scientifiques.
● Pire, le bilan énergétique global des agrocarburants est plutôt mauvais. Le rendement varie significativement en fonction du produit de base utilisé : un litre de pétrole consommé dans le processus de production permet de produire entre 1,4 et 2 l d’éthanolbetterave, environ 1,5 l d'éthanol-maïs, 2 à 3 l de diesel-colza et 7 à 8 l d'éthanol-canne. Leur production est énergivore d’autant qu’elle se fait dans le cadre d’une agriculture consommatrice de pesticides et implique souvent des transports longue distance.
Manger ou conduire, faudra-t-il choisir ?
● La production d’agrocarburants entre en concurrence avec celle de denrées alimentaires et constitue une menace pour la sécurité alimentaire mondiale.
● Un plein de 50 litres d’agrocarburants représente 226 kilos de maïs, soit l’équivalent des besoins annuel d’un enfant au Mexique.
●Elle entraîne une hausse du prix de certains produits agricoles (les cours internationaux d’expor tation du blé et du maïs ont atteint des records en 2007) qui provoque une flambée du prix des produits alimentaires.
Les conséquences dramatiques, en particulier pour les pays pauvres, ont été pointées par l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International.
Quel modèle agricole, quelle utilisation des sols ?
●Le développement des agrocarburants nécessitera l’utilisation de surfaces agricoles immenses. Ainsi la production de 10% d’agrocarburants nécessiterait l’uti lisation de 20% à 30% des terres cultivables de l’UE.
● La production des cultures énergétiques dans les pays du Sud a un impact désastreux sur l’environnement et la biodiversité. Elle constitue une des principales causes de la déforestation et de la dégradation
des sols.
●Aux États-Unis et au Brésil, les carburants d’origine végétale sont produits à grande échelle, dans le cadre d’une agriculture intensive, polluante et transgénique.
Le vrai prix des agrocarburants ?
● Dans les conditions actuelles, les agrocarburants ne constituent pas une énergie verte, renouvelable et durable. Ils représentent plutôt une menace pour la sécurité alimentaire – à l’échelle mondiale, régionale
et nationale – pour l’environnement, la biodiversité, les droits humains, sociaux et économiques. Face à ce constat, les mises en garde et remises en cause se sont multipliées, d’abord par les ONG, puis par des institutions comme la FAO et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Un appel pour un moratoire de 5 ans – visant à expérimenter des solutions alternatives – a été adressé en octobre 2007 à l’Assemblée Générale des Nations Unies par Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation.
Vers une production durable ?
●La nécessité de développer un système de certification en matière d’agrocarburants est à l’étude. Il devrait permettre d’établir des critères contraignants garantissant le caractère soutenable des productions
tant nationales qu’importées, et ce en terme de sécurité alimentaire, de conditions de vie et de travail, d’environnement, de biodiversité.
● Sa mise en oeuvre ne sera pas chose facile. Elle signifie la mise en place d’organismes de certification et de contrôle, et peut devenir un processus compliqué et coûteux.
●En outre, la certification ne semble pas adaptée à la gestion des impacts macro-économiques du développement
des agrocarburants (évolution globale de l’utilisation des terres et ses impacts sur la biodiversité, sur la production de denrées alimentaires, les prix …).
● Seule une production et une consommation à l’échelle locale peut garantir une production durable.
4. La position des Verts
●Les Verts sont favorables à l’utilisation de la biomasse comme source d’énergie renouvelable lorsqu’elle consiste à produire des carburants à partir des déchets domestiques, urbains ou agricoles (fermentation et gazéification).
●Les Verts considèrent que les agrocarburants produits à partir de cultures industrielles spécifiquement destinées à la production de carburants constituent une fausse solution, mettant en péril l’environnement et la sécurité alimentaire et favorisant une agriculture intensive.
● Les Verts demandent l’adoption d’un moratoire immédiat sur les agrocarburants produits dans le cadre de vastes monocultures. Parallèlement, ils demandent la réalisation d’une évaluation précise de l’impact des agrocarburants sur la sécurité alimentaire mondiale et l’adoption d’un système de certification obligatoire pour tous les agrocarburants, qu’ils soient produits dans l’UE ou importés.
● Les Verts souhaitent la réorientation de la politique de l’UE en matière d’agrocarburants et plus globalement en matière d’énergie et de transport, afin que :
– le développement des carburants produits à partir des déchets organiques et des résidus et sous produits de l’agriculture soit favorisé,
– la priorité soit donnée à la diminution significative de la consommation de pétrole, à la réduction du trafic motorisé et à la réduction des émissions des véhicules.
● Les Verts préconisent une baisse de la consommation énergétique et le développement d’une agriculture à haute performance environnementale, moins énergivore. Ils sont favorables au développement d’une production et d’une consommation des agrocarburants à l’échelle locale dans le cadre des exploitations et coopératives agricoles.
LES DIFFÉRENTES FILIÈRES
Il existe actuellement 2 types d’agrocarburants :
●l’agrodiesel (appelé biodiesel) produit à partir d’huile issue du colza, du tournesol, du soja ou du palmier à huile, puis mélangé ou substitué au gazole. C’est la filière actuellement développée dans les pays de l’UE.
●l’agroéthanol (appelé bioéthanol) produit à partir d’alcool obtenu à partir du sucre de betterave, canne à sucre, maïs et blé, puis mélangé ou substitué à l’essence. C’est la filière développée au Brésil (canne à sucre) et aux États-Unis (maïs).
Une seconde génération d’agrocarburants est en phase de développement. Elle porte sur la transformation de la lignine et de
la cellulose (du bois, de la paille…) en alcool ou en gaz. Elle porte
également sur la valorisation des déchets ou encore, la production
d’huile à partir de micro algues, ou d’espèces végétales pouvant
pousser dans des conditions difficiles. Parmi ces dernières, la culture du Jatropha est présentée comme une solution à la dégradation des sols, alors que les plantations de cet arbuste en Inde ou en Afrique démontrent des besoins en irrigation peu compatible avec des terres dégradées
LE CAS DE L’HUILE DE PALME
L’impact des cultures énergétiques dans les pays du Sud peut être catastrophique. C’est le cas de la plantation du palmier à huile, qui se
développe depuis les années 90 et qui risque d’exploser avec le développement des agrocarburants. En Malaisie et en Indonésie, elle est à l’origine de la destruction d’immenses zones de forêts primaires et de l’assèchement des marais et tourbières – des milieux abritant une biodiversité animale et végétale inestimable. En outre, les pratiques mises en oeuvre dans le cadre de cette production ont des effets
désastreux sur le droit à l’alimentation, l’accès à la terre et les condi -
tions de travail des populations locales. Le cas de la Colombie est particulièrement préoccupant : la création d’immenses palmeraies est à l’origine d’une appropriation illégale et violente des terres– à laquelle participe l’armée – et qui entraîne le déplacement forcé des populations.
L’UE importe massivement l’huile de palme, qui, outre la production d’agrocarburants, peut être utilisée comme combustible dans les centrales thermiques et entre dansla composition de nombreux produits alimentaires, de peintures et produits cosmétiques.