C'était dans Le Monde.fr du 1er juillet.
Suivi d'un article du Parisien.fr du 9 juillet :
« À Montreuil, voisinage toxique d’une usine et d’une école
Après un nouveau cas de leucémie, les parents d’élèves demandent la fermeture d’une installation classée qui traite des pièces mécaniques d’avions pour Airbus et Safran.
Par STÉPHANE MANDARD
C’est soit l’usine, soit l’école !, prévient Nicolas Barrot. Si elle n’est pas fermée cet été, on n’y mettra pas nos enfants à la rentrée. On s’organisera pour prendre trois ou quatre élèves chacun à la maison. » L’ultimatum est le cri de colère d’un père inquiet et excédé. Nicolas Barrot préside l’association Les Buttes à Morel, qui rassemble 600 riverains, dans le nord-ouest de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Depuis la terrasse de son appartement, il a une vue imprenable sur « l’usine verte », comme on l’appelle dans le quartier. Mais il ne peut pas toujours en profiter, à cause de l’odeur âcre qui se dégage de la bouche d’aération principale du site, qui crache du matin au soir, sous les fenêtres d’un centre d’accueil médicalisé pour autistes.
Posé à l’angle de la rue des Messiers et de celle des Guilands, en pleine zone résidentielle, cet entrepôt vétuste – un trou béant défigure la façade nord, juste au-dessous de l’extracteur – est à une cinquantaine de mètres à l’ouest du groupe scolaire Jules-Ferry : deux écoles élémentaires et une maternelle qui regroupent 700 élèves.
Pièces mécaniques d’avions
L’« usine verte » doit son sobriquet à la couleur de la tôle qui recouvre ses murs,et non au fait qu’elle est installée en bordure du parc des Guilands, classé en zone Natura 2000 avec sa friche propice à la reproduction des oiseaux. Ce qu’ignorent la plupart des habitants du quartier, c’est que « l’usine verte » est une installation classée pour la protection de l’environnement. En clair, elle peut présenter des dangers ou des inconvénients pour la santé ou la sécurité de son voisinage. L’entreprise qui l’exploite, la Société nouvelle d’eugénisation des métaux (SNEM), traite des pièces mécaniques d’avions contre la corrosion pour Airbus et Safran. Selon les données du Registre des émissions polluantes, elle a déclaré produire plus de 37 tonnes de « déchets dangereux » en 2015.
Les élèves de CM2 de Jules-Ferry ont en revanche tous remarqué qu’un de leur camarade manque à l’appel depuis plusieurs semaines. Le copain de classe du fils de M. Barrot, qui habite rue des Messiers, en face de l’école, est entré à l’hôpital Trousseau début juin. Les médecins ont diagnostiqué une leucémie aiguë myéloblastique promyélocytaire (LAM 3). Une leucémie rare chez les enfants, qui touche la moelle osseuse.
Il y a quinze ans, un autre petit garçon du quartier également scolarisé à Jules-Ferry avait eu une leucémie du type LAM. Et en 2010, un homme de 48 ans, résidant dans la même rue des Messiers, est mort un an après qu’on lui a diagnostiqué lui aussi une leucémie aiguë myéloïde.
« Même si on n’est pas en mesure de savoir si ces cas de leucémie sont supérieurs à la normale ou s’ils ont un lien avec l’usine, il est aberrant qu’une installation qui rejette des produits toxiques soit à moins de 100 mètres d’une école », témoigne Isabelle Borrel, le médecin qui avait suivi le patient décédé. Selon les statistiques de Santé publique France, les LAM sont des maladies très rares, dont l’incidence chez les moins de 14 ans est de 0,8 nouveau cas par an pour 100 000 enfants de cette tranche d’âge.
L'"usine verte" de la SNEM, à Montreuil, en bordure du parc des Guilands. STEPHANE MANDARD
Le maire de Montreuil, Patrice Bessac (Parti communiste), a écrit au préfet, vendredi 30 juin, pour qu’il demande à l’Agence régionale de santé de diligenter une étude épidémiologique, indique au Monde le cabinet du maire. « Trois leucémies dans une portion de rue de 100 mètres… On est obligé d’avoir peur », dit M. Barrot. Surtout quand on sait qu’il y a dix ans, un rapport du service d’inspection des installations classées relevait que la SNEM utilisait « un bain de tétrachloroéthylène (perchloroéthylène) de 270 litres ». Or le perchloroéthylène, un solvant très volatil en cours d’interdiction dans les pressings, est classé cancérogène probable et il peut être à l’origine de leucémies.
Ce rapport de juillet 2007 souligne également que « les résultats de l’analyse de la DEA [Direction de l’eau et de l’assainissement] du 6/2/2007 sont catastrophiques ». En cause, notamment, un « fort dépassement » des teneurs autorisées en chrome total (21,6 mg/l au lieu de 3), en aluminium (714 mg/l au lieu de 5) et en métaux lourds (738,8 mg/l au lieu de 15).
Depuis plus de dix ans, M. Barrot multiplie les courriers à la préfecture, à la mairie ou au département pour alerter des dysfonctionnements répétés de la SNEM. « Quand on est arrivés en 2005, toutes les semaines, un camion se garait dans la rue. Il passait un gros tuyau par une petite trappe pour vider ses cuves. Et systématiquement, il en mettait partout sur le trottoir et dans le caniveau, avec les gamins qui jouaient au ballon en sortant de l’école. » Nicolas et ses voisins ont conservé des photos et des vidéos.
Excédé par le « silence » de la préfecture, qui répète que « tout est sous contrôle », il décide en 2011 avec quelques riverains de faire appel à un laboratoire indépendant (Analytika). Avec le père de l’enfant aujourd’hui malade, ils installent des capteurs dans les extracteurs qui donnent sur la rue et sur le parc, procèdent à des prélèvements de terre autour de l’usine et sur sa terrasse. « Tous les échantillons soumis à notre expertise sont fortement contaminés par de nombreux produits chimiques, toxiques à divers degrés », conclut le rapport analytique qui confirme la présence de tétrachloroéthylène mais aussi de « quantités très importantes d’acide chlorhydrique ».
La préfecture n’a pas donné suite à ce rapport estimant que les résultats étaient « peu exploitables », en raison notamment de l’absence de précision des mesures de concentration.La SNEM a tout de même dû installer, par la suite, des filtres sur son principal extracteur.
« Des produits moins nocifs »
En juillet 2012, elle a fait l’objet d’un arrêté préfectoral complémentaire portant sur « les rejets de substances dangereuses dans le milieu aquatique ». Seulement six établissements en Ile-de-France sont concernés par cet arrêté qui vise à réduire les substances dangereuses dans les rejets des installations classées. En novembre 2014, ce sont des salariés de la SNEM qui se plaignent de la sécurité auprès de leur employeur, déplorant des fuites d’eau quand il pleut. Plus récemment, Nicolas Barrot a de nouveau écrit à la préfecture pour signaler que les trappes de désenfumage, sur le toit, étaient ouvertes. Dans un courrier du 20 juin, la préfecture confirme que l’inspection, réalisée le 6 avril, a révélé « des écarts à des dispositions réglementaires ou des insuffisances ».
Sollicitée par Le Monde, la préfecture indique que« des inspections réactives à plusieurs plaintes de voisinage ont été menées par la Driee [Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie] en 2010, 2014, 2015, 2016 » et que « l’exploitant a répondu aux demandes formulées à l’issue de chaque visite ». Elle ajoute qu’« une visite approfondie sera réalisée cet été ».
Le Monde a pu entrer dans l’usine verte. Sur une porte rongée par la rouille, des affiches annoncent la couleur : matières toxiques, masque à gaz, protection obligatoire des pieds, de la vue… C’est Anissa Ladraa, « responsable ordonnancement et commercial », qui répond à nos questions. Elle connaît bien la SNEM, puisqu’elle y travaille depuis 1992. « Tous les six mois, quand un nouveau voisin arrive, il y a une nouvelle plainte. Mais ce n’est pas parce qu’on a vu un bidon avec une tête de mort que cela veut dire que c’est dangereux, dit-elle. Comme toutes les entreprises classées, nous sommes soumis à des contrôles réguliers de la part de la Driee de la Cramif [Caisse régionale d’assurance-maladie d’Ile-de-France]. A chaque fois que l’on nous demande des mises aux normes, nous le faisons. S’il y avait eu le moindre problème, il y a longtemps qu’on aurait fermé. »
Les rejets de perchloroéthylène ? Plus utilisé. Les odeurs âcres dont se plaignent les riverains depuis 2014 ? Pas toxique, un effet de la chaleur. « Aujourd’hui, on fait des avions verts en utilisant des produits moins nocifs, assure la responsable, qui précise cependant que la SNEM utilise « un seul bain d’acide chromique » pour les pièces de l’A320 et de l’A350, Airbus ayant demandé « une dérogation ».
Particulièrement prisé dans l’aéronautique pour ses qualités anticorrosives, l’acide chromique est classé cancérogène, mutagène et reprotoxique. « Nous, les salariés, nous sommes les premiers à ne pas vouloir mourir d’un cancer. Deux femmes enceintes ont travaillé ici. La Cramif a fait des tests sur les metteurs en bains. Il n’y a jamais eu de soucis. » Contactée, la direction des risques professionnels de la Cramif fait savoir que « juridiquement, elle ne pouvait pas communiquer de données ».
« Regardez, on mange les cerises de notre jardin [qui jouxte l’entrepôt], poursuit Mme Ladraa. Mes enfants venaient jouer ici avec le petit voisin, Adam. » Adam est grand aujourd’hui. Mais il doit toujours faire un contrôle une fois par an à l’hôpital Necker. C’est lui qui a eu une leucémie en 2001, « à 5 ans et demi », précise son père, Pascal Sabas. « A l’époque, l’usine déversait des produits directement dans l’égout, mais on ne faisait pas de relation », dit M. Sabas, qui partage les inquiétudes de ses voisins.
Principe de précaution
« Montreuil a longtemps été une ville industrielle. On peut la fermer, cette usine, mais ça mettra encore des gens au chômage, déplore Mme Ladraa, qui rappelle que la SNEM emploie une quinzaine de salariés à Montreuil, contre une cinquantaine il y a vingt ans. Il faut savoir ce que l’on veut. »
Nicolas Barrot sait ce qu’il veut : faire jouer le principe de précaution et demander la fermeture de l’usine. Avec le responsable de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles Jules-Ferry et Anne-Frank (la maternelle toute proche), il a convié samedi 1er juillet les habitants du quartier à une assemblée pour décider des actions à mener. Rompu aux méthodes des intermittents du spectacle, le parent d’élève est prêt à s’enchaîner aux portes de l’école à la rentrée si celles de « l’usine verte » ne sont pas fermées.»
Leparisien.fr du 9 juillet 2017 :
« Montreuil : des salariés de l’usine présumée dangereuse témoignent
Elsa Marnette 9 juillet 2017
Il y a ces fuites d’eau abondantes lorsqu’il pleut, ces taches de produit fluorescent sur les vêtements, malgré la combinaison de protection. Ces cigarettes fumées par un collègue
non loin des produits toxiques. Ce patron « fantôme ». Ce contrôle de la préfecture qui devrait intervenir cette semaine. Et puis ces voisins, ces curieux qui se postent devant l’entrée de la rue des Messiers à Montreuil et leur donnent l’impression d’être « des bêtes de foire ».
Une semaine après la réunion du voisinage pour demander la fermeture de leur lieu de travail, les salariés de la Snem - une société de traitement chimique de pièces aéronautiques notamment pour Airbus et Safran - souffrent mais ne s’en épanchent pas auprès des journalistes. Pas à visage découvert en tout cas. Trop peur de perdre leur emploi.
La pression est subitement montée après la découverte d’une nouvelle leucémie contractée par un enfant du voisinage, la troisième en quinze ans.
Pour les salariés aussi, ça a été un coup dur. Des liens se sont tendus avec les riverains, d’autres se sont discrètement créés. « Les voisins ont raison de dire qu’il y a des odeurs », glisse une salariée. « Quand la ventilation est en route, nous, on ne respire pas les produits toxiques à l’intérieur, précise un autre. Tout est directement aspiré et ça sort à l’extérieur. Du côté des voisins. » Jusque par les fenêtres d’un centre pour personnes autistes en face et à quelques centaines de mètres des écoles Jules-Ferry et Anne-Franck.
La vétusté, l’insalubrité de leur usine, les salariés rencontrés ne la contestent pas. Le besoin criant d’investissements non plus. La dangerosité pour la santé est plus difficile à prouver. Une femme rapporte des fuites d’eau mélangée à du chrome en cas de fortes pluies. Conséquences : les bassins de rétention débordent, le sol est inondé, « les gens marchent dedans puis dans la rue ».
Plus inquiétant, un autre cite la présence d’un seau sur le toit de l’usine, censé collecter un produit toxique parce qu’une cheminée est cassée. Visible depuis le parc des Guilands juste au-dessus, ce seau, sanglé au toit, n’est, d’après lui, jamais vidé et son contenu déborde en cas de pluie.
« Le patron a délaissé toute l’usine », glisse, très amer, un employé. Un constat partagé par Richard Delumbee, secrétaire de l’union locale CGT, qui accompagne les salariés de la Snem depuis plusieurs années : « Le fond du problème, c’est un employeur qui ne joue pas son rôle : il n’investit pas alors qu’on le réclame, il ne répond pas aux délégués du personnel. Les salariés ne voient jamais la direction. »
En revanche, il ne croit guère aux accusations de dangers pour la santé : « Les salariés ne sont pas plus suicidaires que les parents d’élèves, ils ne viennent pas travailler la peur au ventre, assure-t-il. Cette usine existe depuis très longtemps. S’il y avait une mortalité anormale, on le saurait. »
Contactée à plusieurs reprises, la direction n’a pas répondu à nos sollicitations.
La préfecture avance son inspection
L’inspection devait avoir lieu « dans le courant de l’été ». La direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) a finalement décidé de visiter la Société nouvelle d’eugénisation des métaux (Snem) de Montreuil, installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), « avant mi-juillet » indique la préfecture.
Un premier contrôle se serait déroulé dans les locaux vendredi. Un autre devrait suivre dans le courant de la semaine. Objectif : « Vérifier en détail si l’exploitant respecte bien son arrêté d’autorisation, qui lui impose des normes de rejet dans le domaine de l’air et de l’eau, l’élimination des déchets en filière agréée, la présence de dispositifs de sécurité etc. ».
Le maire PC de Montreuil, Patrice Bessac, réclame, de son côté, l’organisation d’une table ronde « avec les services de l’État compétents, l’Agence régionale de santé (ARS), la DRIEE, en présence des services de la ville et des habitants ». Une étude sur « la qualité de l’air intérieur dans les écoles situées à proximité » a aussi été demandée.
E.M. »