Cet article de Fabrice Nicolino, publié sur son blog « Planète sans visa » le 15 octobre est paru dans Charlie Hebdo le 8 octobre 2014
« Miguel Cañete est (presque) un gros bœuf
Suspense. Cañete, lobbyiste de l’industrie pétrolière, va-t-il diriger la politique climatique de l’Europe ? En tout cas, l’homme de Petrolífera Dúcar est dans les tuyaux. Vive la démocratie en marche !
En première analyse, ce mec est un gros bœuf. Mais le bœuf, malgré l’absence de ses couilles, reste un superbe animal, et l’on voit donc que la comparaison ne tient pas. Miguel Arias Cañete, en effet, n’a à peu près rien pour lui. Né en 1950, chefaillon du pitoyable Parti Populaire (PP) d’Espagne, il a été ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement à deux reprises, et il devrait devenir, sauf refus du Parlement européen, commissaire européen en charge à la fois de l’Énergie et du Climat. Et donc représenter l’Europe dans toutes les négociations internationales autour du vaste dérèglement climatique en cours.
C’est une vaste fête qui se prépare pour les climato-sceptiques et les industriels planqués derrière, car Cañete est un adorateur stipendié du pétrole. Mais l’affaire remonte à fort loin, ainsi que le montre un récapitulatif dingo réalisé par les Amis de la Terre Europe. Dès 1996, Cañete, alors député européen, s’intéresse de très près aux projets concernant les importations de bagnoles. Et comme il a raison ! Discrètement, oubliant même d’en parler dans une déclaration d’intérêts pourtant obligatoire, il est parallèlement l’un des pontes d’Italcar España, qui importe évidemment des tutures.
Rebelote en 2001 : alors qu’il est ministre, Cañete oublie encore – damned - de déclarer ses intérêts dans deux sociétés de jeu et une entreprise agricole. Sa réponse, historique, est qu’il ignorait faire partie de leur conseil d’administration.
En 2002, sa femme – d’affaires, ô combien - passe devant une commission d’enquête espagnole, car elle est soupçonnée d’avoir reçu des informations confidentielles sur l’oreiller. En 2004, passé à l’opposition, Cañete propose ses services de lobbyiste au gouvernement américain, notamment au sujet des OGM. Ce n’est, jurons-le solennellement, qu’un aperçu. On passe sur ses petites phrases dégueulasses, si nombreuses. À propos des Équatoriennes qui viendraient faire des mammographies gratuites en Espagne, quand elles coûtent 9 mois de salaire au pays. À propos des femmes en général : « il est compliqué de tenir un débat avec une femme, car montrer de la supériorité intellectuelle pourrait paraître sexiste ».
Le plus sympa vient après. L’infatigable Cañete a également fondé deux boîtes pétrolières,Petrolífera Dúcar et Petrologis Canarias, ce qui est un poil gênant quand on est censé lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Mais pourquoi s’en faire ? Craignant tout de même les questions, Cañete fourgue ses actions dans ces nobles entreprises il y a quinze jours, y compris celles de sa femme et de son fils. Ses beaufs, deux de ses authentiques beaux-frères, restent aux commandes, et Cañete d’affirmer benoîtement que la déclaration d’intérêts ne porte que sur la famille immédiate, ce qui est assurément exact. Est-il utile d’en rajouter sur des montages fiscaux lointains, ou encore la société écran Havorad BV, basée aux Pays-Bas ?
Où en est-on ? C’est simplement horrible. Au moment où vous lirez ces lignes, un vote du Parlement européen aura – ou non – confirmé Cañete dans son poste. Dans les coulisses politicardes habituelles, on s’amuse comme des petits fous. Le PP espagnol et Cañete ont derrière eux toute la droite européenne. Or notre splendide Moscovici veut lui aussi être intronisé à la Commission, ce qui donne lieu à un deal comme on les aime. Ou les socialos européens se couchent, et en ce cas, Moscovici obtiendra définitivement son poste à l’Économie. Ou elle essaie d’évincer Cañete, et dans ce cas, Moscovici pourra aller se faire foutre.
Dans un contexte aussi plaisant, la crise climatique ne pèse pas davantage qu’un plumet d’oie. Qu’en pense donc notre si chère Ségolène Royal, qui prépare une nouvelle foutaise pour 2015, connue sous le nom de « Sommet climatique mondial de Paris » ? Quelques voix écologistes gueulent, à peu près dans le désert. Une pétition pour lourder le bœuf Cañete est en ligne, qui dépasse les 400 000 signatures (https://secure.avaaz.org/en/canete_climate_12/). On s’en fout ? Ils s’en foutent. Mais bien. »