Lu ce 22 février sur Le Parisien.FR :
« Romainville : les enfants interdits dans les maisons empoisonnées
Floriane Louison avec Aurelie Lebelle
Romainville, le 19 février. Cette friche industrielle, l’ex-usine Wipelec, a empoisonné le quartier : des traces de benzène et de trichloréthylène, largement au-dessus des seuils critiques, ont été relevées dans les maisons voisines. (LP/Floriane Louison.)
Quand des experts ont toqué à sa porte en 2013 pour effectuer des prélèvements, il a envisagé le pire. Sébastien Tirloy, habitant de la rue des Ormes à Romainville, ne pensait pas que son angoisse pourrait encore monter d’un cran. Le vice-président de l’association Romainville-Sud vient d’obtenir, après trois ans de bataille, un rapport de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
«Il prouve définitivement que le quartier et les habitations ont été pollués par l’usine voisine », explique-t-il. Fermé en 2008, le site exploité par Wipelec-Ceres s’occupait de découpe chimique des métaux.
Il le savait déjà. Lors d’une réunion en janvier 2015, la préfecture avait annoncé que des traces de benzène et de trichloréthylène, largement au-dessus des seuils critiques, avaient été relevées dans l’air ou dans le sol de certaines habitations.
«On ne peut pas dire si des problèmes de santé sont liés à cette usine»
«Mais cette fois, c’est pire… Il y a un an, la préfecture nous recommandait seulement de bien aérer les maisons. Ce début d’année, deux personnes ont été convoquées en mairie — en présence de la préfecture et de l’agence régionale de santé — pour les inciter fortement à quitter les lieux et, en attendant, ne plus accueillir d’enfants. » (Lire ci-dessous).
«C’est une mesure préventive, confirme la maire (DVG) de Romainville, Corinne Valls. Pour l’instant, on ne peut pas dire si d’éventuels problèmes de santé sont directement liés à cette usine. » Les riverains, eux, ne sont pas rassurés du tout. En 2015, quatre personnes sont décédées d’un cancer dans le même pâté de maisons.
«Le rapport confirme la pollution des habitations mais aussi de l’espace public, notamment des canalisations », poursuit Sébastien Tirloy. En mairie, on précise que les premières analyses avaient «oublié d’anciennes canalisations inutilisées et désaffectées depuis longtemps. Apparemment, des polluants sont massivement stockés à cet endroit et la pollution dans les maisons pourraient venir de là. »
«Les gens ont été délibérément laissés dans la pollution»
Pour l’instant, le nombre de personnes touchées n’est pas connu. D’ailleurs, les habitants du quartier n’ont pas encore tous obtenu «leurs résultats ». Karema Laras est dans ce cas, «dans l’inquiétude d’apprendre du jour au lendemain que je dois partir de chez moi car ma maison est empoisonnée. » La maire ajoute : «Il va aussi falloir faire des études pour savoir qui a habité dans la zone à quel moment, pour pouvoir contacter les gens si besoin. »
Pour Sébastien Tirloy, «les gens ont été délibérément laissés dans la pollution ». Le rapport de l’Ademe indique d’ailleurs que la situation est connue depuis 2003, date des premières études.
«Et même aujourd’hui, alors que le problème est sous les yeux de tous, la dépollution n’avance pas. » En 2014, une entreprise spécialisée, Ginkgo, avait présenté un plan de dépollution. «Mais il ne se passe rien depuis des mois », décrivent les riverains. Faux, selon
Corinne Valls qui assure que le dossier est «entre les mains de la préfecture pour être validé avant de débuter le chantier ».
En attendant, 6 000 m3 de terre contaminées, à évacuer, sont toujours là, aux pieds des pavillons.
«On nous a recommandé de partir au plus vite »
Dans cette jolie maison avec jardin au cœur du quartier des Ormes, elle a élevé ses deux garçons, puis gardé ses petits-enfants. «Ils ont 3, 5 et 7 ans », sourit la grand-mère. Depuis un mois, elle ne peut plus les accueillir chez elle. «Trop risqué », lui a expliqué la préfecture. Elle habite tout près de l’ex-usine Wipelec..« Pendant 30 ans, personne ne nous a jamais rien dit et d’un coup, c’est dangereux de vivre ici ! », s’indigne Ferroudja Boussaid.
« On m’a dit que chez moi les seuils de pollution étaient préoccupants»
La grand-mère tente de contenir sa détresse pour dénoncer, «le plus clairement, possible », sa situation. «Le 21 janvier, j’ai été convoquée en mairie, avec mon mari, pour m’annoncer que, chez moi, les seuils de pollution étaient préoccupants. » 250 microgrammes/m3 de trichloréthylène lors d’une première mesure, 160 la deuxième fois. «Le seuil d’action rapide, c’est-à-dire le moment il faut intervenir rapidement, est fixé à 10 mg/m3 », précise Sébastien Tirloy, président de l’association des riverains, Romainville-Sud.
« On nous a donc recommandé de partir au plus vite et ne plus recevoir les enfants », poursuit Ferroudja Boussaid. «Concrètement, on nous propose un relogement immédiat en attendant la dépollution. Mais je retrouve ma maison dans combien de temps ? Et dans quel état ? » Elle exige un relogement définitif au prix de son bien.
Son mari se bat contre un cancer du poumon
Le couple aspirait à finir ses vieux jours dans cette maison qui garde tous leurs souvenirs. En quelques heures, ce 21 janvier, ceux-ci ont tourné à l’aigre. Le potager, avec lequel elle a régalé sa famille était-il une épée de Damoclès sur leur tête ? Et son mari n’est-il pas malade à cause de la pollution ? Lui «qui ne fume pas et marche 50 km par semaine » se bat contre un cancer du poumon depuis près d’un an. Dans le coin, il n’est pas le seul. L’année dernière, quatre voisins sont morts de cette maladie. Elle ne veut pas encore faire le lien sans preuve, « mais quand même… le trichloréthylène est un cancérigène !
Floriane Louison »