Nous sommes allés soutenir notre ami Olivier Thérondel qui passait hier vendredi 21 mars 2014 devant la justice pour avoir dénoncé, lors de l’affaire Cahuzac, les anomalies, les dysfonctionnements de la celluleTracfin, l’organisme du ministère des finances dédié à la lutte contre le blanchiment, l’évasion fiscale.
Olivier Thérondel et Pierre Mathon à la sortie du Palais de Justice, hier soir
Nous étions une bonne vingtaine dont Marilou Brossier et Catherine Denis.
Dans un premier temps, le choc est moral. Pourquoi cela doit être à celui qui a alerté l’opinion à rendre des comptes à la justice ?
Olivier a pourtant simplement réagi en citoyen, lorsqu’il s’est aperçu que la cellule dans laquelle il travaillait, qui avait justement pour mission de lutter contre la délinquance financière refusait de traiter « normalement » l’information dont elle disposait parce que le mis en cause était le ministre de tutelle (finances).
Cette aberration n’a pas été vraiment mise en évidence lors de l’audience qui s’est déroulée sous nos yeux.
On a assisté à une sorte d’inversion des charges et des valeurs.
L’accusé n’était pas le voleur, le menteur, le délinquant qui avait volé son pays, menti sous serment, ...
L’accusé n’était pas non plus le responsable de la cellule qui a traité les informations concernant les actes délictueux de son ministre avec la plus grande lenteur …
L’accusé était celui qui a dénoncé le fait que la cellule ne remplissait pas sa mission dès lors qu’il s’agissait d’une personnalité « exposée ».
Le parquet a requis ce vendredi trois mois de prison avec sursis à son encontre.
On a compris qu’il fallait tuer dans l’œuf toute nouvelle velléité de zèle et d’honnêteté parmi les agents de Tracfin.
On a compris aussi que l’expression de La Fontaine :
« Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
est encore malheureusement d’actualité.
Rappel des faits :
Sur un blog hébergé par Mediapart, Olivier Thérondel avait publié, les 22 et 26 avril 2013, deux billets, qui mettaient en cause les consignes de sa hiérarchie et des lenteurs présumées dans le suivi du dossier de Jérôme Cahuzac. L'ancien ministre du Budget avait été contraint à la démission, le 19 mars 2013, après avoir menti pendant des mois sur l'existence d'un compte bancaire lui appartenant à l'étranger.
Olivier Thérondel a enregistré le 5 avril, dans le cadre de son travail à Tracfin, une « déclaration de soupçon » relative au rapatriement en France de 685.000 euros par M. Cahuzac depuis un établissement bancaire situé à Singapour. Il explique que lorsqu'ont été transmises à Tracfin les informations relatives aux transferts effectifs, son supérieur direct l'a enjoint, oralement, de ne plus effectuer d'opérations liées aux comptes de Jérôme Cahuzac. Il s’est donc inquiété de cette situation, de même, a-t-il dit à l'audience, du fait que l'ensemble de ces informations ne faisait pas l'objet d'un signalement au parquet.
À l’audience :
À noter une déclaration très claire d’Edwy Plenel de Médiapart, entendu comme témoin, sur le rôle respectif des médias et des lanceurs d’alerte.
La procureure a argué que, dès le 2 avril, M. Cahuzac avait indiqué publiquement qu'il rapatrierait ces fonds en France. L'information n'était donc plus confidentielle et ne risquait pas d'échapper à l'autorité judiciaire, a-t-elle estimé, ce qui était la principale préoccupation du citoyen Thérondel. « Mon seul motif, quand j'ai fait ces blogs, c'était de m'assurer que la justice avait bien l'information », a-t-il dit.
Une affaire dans l’affaire
D’après les débats que nous avons suivis avec attention et le refus de répondre du directeur de Tracfin au tribunal (s’abritant derrière le secret professionnel), il est apparu que d’autres personnes ayant un lien avec l’affaire n’ont pas été mises « en lien ». Le dossier n’a pas été « enrichi »… À suivre.
Olivier Thérondel, qui a travaillé 9 ans à Tracfin, avant son licenciement, a rappelé plusieurs dysfonctionnements dont il avait été témoin. Il a notamment dit avoir signalé, en 2010, le rapatriement de 100.000 dollars depuis le Panama par un « conseiller présidentiel », ce qui lui avait valu une réprimande de sa hiérarchie. Dossier qui a été classé « sans suite »… Des collègues avaient eu à connaître des faits de même nature, mais connaissaient aussi le tabou.
La procureure n’a pas retenu ces déclarations qui éclairaient pourtant fortement le fait que cette cellule anti-blanchiment n’était pas blanche comme neige et que sa direction avait le loisir de faire le tri et de « mettre au coffre » (sous le boisseau ?) un certain nombre de dossiers lorsqu’ils étaient « sensibles ».
Me William Bourdon, l’avocat d’Olivier, a plaidé magistralement la bonne foi d’Olivier au vu d’une carrière irréprochable (excellemment noté d’ailleurs par sa hiérarchie), et d’une morale inébranlable. Allant au fond du dossier il a asséné : « « Oui, il y a une anomalie considérable qui n'a échappé à personne, sauf à vous », soulignant que trois semaines s'étaient écoulées entre le signalement à Tracfin et la transmission de l'information à l'autorité judiciaire. « C'est un dysfonctionnement majeur », a-t-il martelé, rappelant les états de service immaculés de M. Thérondel, qui avait donné toute satisfaction lors de ses neuf années à Tracfin.
Rendu du délibéré le 16 mai.
Hélène Zanier hier au Palais de Justice (Photo Catherine Denis)
À suivre.
Hélène Zanier