Et voici comme d’habitude l’éditorial de notre ami Noël Mamère. A lire, bien évidemment, sans omettre les post-scriptum sur les Tamouls, les jeunes, la crise.
Le retour des Don Quichotte
Edito de Noël Mamère du 18 mai 2009
Don Quichotte est de retour. Après avoir animé le débat sur le droit au logement opposable durant les présidentielles, le silence était retombé sur son action. Les enfants de Don Quichotte reviennent à l’occasion des élections européennes. Ils se sont installés sur les berges de la Seine et dans plusieurs grandes villes de France pour profiter du débat européen afin de dresser le bilan de deux ans de promesses non tenues. Ils veulent faire entendre la voix de ceux qui n’ont rien, les sans-logis, les SDF, ceux que l’on ne veut pas voir, devant qui on passe sans se retourner mais qui, par leur présence-absence, nous renvoient le regard de notre société en même temps que notre mauvaise conscience. En effet, nous sommes tous responsables, même si nous ne sommes pas tous coupables.
Pour une fois, la célèbre expression de l’ex-ministre Georgina Dufoix a quelque chose de vrai. Tous responsables, parce que nous ne nous révoltons pas contre la situation faite à nos frères et sœurs en humanité qui couchent dehors, sous les intempéries, pendant que nous dormons bien au chaud, dans nos lits douillets. Mais pas tous coupables. Depuis la fin des années quatre-vingt, les partis de gauche comme de droite, promettent la fin des SDF en 5, 4, 3 ou 2 ans... Voilà qui donne bonne conscience devant les électeurs et la galerie des médias. Une telle promesse sous-entend deux choses : D’un côté on aide les plus démunis, de l’autre on débarrasse les rues des gueux, de manière à ne pas être confrontés "aux bruits et aux odeurs", comme aurait dit Jacques Chirac. Nos cités doivent être épurées, lavées de leurs souillures, pour être propres sur elles. Cette conception de la ville inodore et sans saveur n’est pas la nôtre, parce qu’elle est ségrégative. Parce qu’ils rendent visibles les invisibles, les Don Quichotte rendent un sacré service à la société, Sarkozy ne s’y est pas trompé : alors que l’association avait installé ses tentes sur les quais de la Seine , sous les fenêtres de l’Elysée, il n’a pas attendu cinq petites heures pour les déloger. Du balai, les pauvres, allez voir la Maréchale-des-Logis Christine Boutin, elle donnera de vos nouvelles au Bon Dieu et à son pape dont elle est une conseillère avisée mais surtout, ne troublez pas notre campagne européenne. Pourtant, en 2008, le Parlement Européen a voté une résolution demandant que l’on en finisse avec l’exclusion des SDF. Évidemment, rien n’a été fait depuis, la Commission européenne étant visiblement plus occupée à imposer le principe de la concurrence libre et non faussée, la déréglementation des services publics et du temps de travail, qu’à proposer un pacte de lutte contre l’exclusion au niveau européen. En soi, cet exemple exprime bien la crise que traverse cette Europe là, incapable d’embrayer sur les aspirations des citoyens. On aimerait que le Parlement européen puisse imposer une directive "Don Quichotte" où le droit au logement, le droit au revenu minimum, le droit d’accès à l’eau, le droit à l’éducation et à la culture, seraient garantis.
Pourquoi cette absence de projet et de vision européenne lorsqu’on parle des questions sociales ? Les pères fondateurs de l’Europe avaient conçu ses premiers pas d’un point de vue économique - relancer le charbon et l’acier - pour servir de marchepied à une Europe politique. Leurs héritiers se sont contentés de gérer les questions économiques, en les élargissant à l’Europe monétaire et financière, bien loin des préoccupations des citoyens qui craignent plus l’Europe qu’ils ne la comprennent et ont peur que la misère leur tombe sur la tête, à l’instar des SDF. Voilà pourquoi, en dignes héritiers de Cervantès et de Victor Hugo, les enfants de Don quichotte nous rappellent que les misérables sont toujours là, au cœur de nos villes. En se rappelant à notre bon souvenir, ils ont tapé dans le mille ; Ils nous font la démonstration du cynisme des promesses qui leur avaient été faites en 2007 et révèlent l’impuissance de l’Europe en cette matière. Les uns et l’autre, les SDF et l’Europe, valent mieux que des interventions musclées de CRS. Ils méritent un débat transnational et de vraies solutions, maintenant.
La criminalisation des mouvements sociaux que pratique le clan Sarkozy, est pour le moment la seule réponse que lui et ses semblables, de Berlusconi à Barroso, opposent aux exigences de ceux qui refusent cette société, dure pour les pauvres et généreuse pour les riches. Donnons leur une bonne leçon le 7 juin, ils ne méritent qu’une seule : que se vayan, qu’ils s’en aillent !
Noël Mamère, le 18 mai 2009
P.S. 1. Les Tamouls sont en train de mourir par milliers dans l’indifférence générale. Une victoire militaire accouche rarement d’une politique courageuse de réconciliation. Les Tigres n’ont jamais vraiment voulu une paix juste et durable, sinon à la condition de l’indépendance totale. Ils ont échoué et portent de lourdes responsabilités dans le malheur de leur peuple. Pour autant, le crime de masse qui est en train de s’opérer sous nos yeux va allonger la liste des crimes imprescriptibles contre l’humanité. L’Europe et l’ONU doivent exiger au plus vite une commission d’enquête internationale.
P.S. 2. La France est entrée officiellement en récession. La prévision de croissance de Christine Lagarde était donc un pieux mensonge. Cette décroissance subie et non choisie va plonger des dizaines de milliers de familles dans le chômage, la misère et la précarité. Au lieu de proposer une transformation écologique de l’économie, le gouvernement persiste et signe dans sa politique de subventions aux banques, aux actionnaires et aux industries en faillite, sans rien changer à la fiscalité, aux salaires et à l’emploi.
P.S. 3. La jeunesse est en train de décrocher de la société. Un sondage, la répression du blocage des facs, le vote de la loi Hadopi et plusieurs faits divers montrent qu’un fossé entre générations est en train de se creuser. Que 18 % des jeunes de 18 à 24 ans soient prêts à voter pour le Front national démontre que l’avenir est bouché pour la génération qui monte. La seule réponse à ses attentes est la criminalisation de la jeunesse. Sois jeune et tais toi ! semble dire la société à ses enfants. Quand un pays est sourd à ce point, il y a de grandes chances qu’il se prépare des lendemains qui déchantent.
