Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu de la soirée-débat de l’appel des 100 du 26 septembre, tel qu’il nous a été transmis par les organisateurs (illustré par des photos de la soirée) :
« QUE PEUT-ON ATTENDRE DES INTERVENTIONS MILITAIRES?
SYRIE, QUEL DEVENIR ?
Invité, Rony Brauman
L’Appel des Cent a demandé à Rony Brauman de venir à Bagnolet pour exprimer, dans un contexte marqué à l’époque par l’imminence de frappes aériennes contre la Syrie, son point de vue sur une éventuelle intervention militaire. Jusqu’ici, fort d’une expérience sur les terrains marqués par les conflits armés, il avait souvent pris position contre tout recours à la force, y compris en Syrie. Quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre qu’il s’était, à la suite des attaques par le gaz de populations civiles, convertit à la nécessité d’une intervention ciblée en Syrie. Fallait-il confirmer le rendez-vous ? Après débat, nous avons décidé de maintenir notre invitation. .
Avant de débuter la séance, un hommage est rendu à l’infatigable militant de la paix que fut Albert Jacquard récemment décédé.
C’est une salle comble, celle des expositions à la médiathèque, qui accueille Rony Brauman, président de Médecins Sans Frontières de 1982 à 1994,chercheur associé à Sciences-Po Paris et collaborateur d’Alternatives Internationales.
Rony Brauman fait le constat que les interventions militaires sont fondées sur des mensonges :
En Somalie en 1991, l’opération américaine et alliée intitulée « Restore Hope », présentée comme justifiée par la famine causée par les rapines des bandes armées, débute alors qu’une très grande partie des populations en cause est déjà décédée. Au départ les Américains sont bien accueillis, puis le conflit s’enlise et ils repartent laissant le pays dans une situation chaotique
Au Kosovo, la presse bruisse de massacres massifs de populations civiles de 500.000 à 2 millions de morts pour justifier l’intervention. Plus tard, le Journal allemand « Der Spiegel » révélera la supercherie. Il y eut environ 4000 morts [4000 de trop], pour la plupart combattants kosovars et serbes.
En Libye, le 16 février 2011, une manifestation non-violente est organisée à Tripoli en défense d’un avocat qui a été emprisonné. Six jours plus tard, la presse internationale fait état du mitraillage au sol, par l’aviation de Kadhafi des manifestants. Cette répression n’a jamais eu lieu ce qui n’empêchera pas BHL de la décrire par le menu ! Kadhafi devient la personnification du mal absolu. Il aurait donné à ses mercenaires africains noirs l’autorisation de violer les femmes de zones insurgées. La preuve ? la photographie d’un sac avec en évidence un flacon de Viagra ! Autre mensonge : les chars de Kadhafi contre la population insurgée de Bengazi. Conséquence : l’intervention en Libye, le délitement du pays, en Tripolitaine les milices font la loi tandis que le Fezzan devient une niche de djihadistes dont une partie migre, avec armes et bagages vers le Sahel, participant à la conquête du nord Mali.
En Afghanistan l’intervention américaine réplique aux attentats de l’attaque contre le World Trade Center. Elle devait durer une année au maximum, elle dure depuis 12 ans. On passera d’une opération pour détruire les responsables des attentats à l’objectif de dévoiler les femmes et de permettre aux fillettes d’aller à l’école.
En Irak, il n’est pas nécessaire de rappeler l’énorme mensonge dévoilé depuis sur les armes de destruction massive qu’aurait accumulé et que s’apprêtait à utiliser le régime de Saddam Hussein.
Ainsi, d’une part ces interventions militaires se justifient par des mensonges mis en scène à partir de simplifications autour du bien et du mal, d’autre part elles génèrent des situations le plus souvent imprévisibles qui ravagent les pays concernés et entraînent un engrenage incontrôlé.
« Aussi la vérité est-elle toujours la première victime de la guerre». On assiste à une sidération, à une congélation des esprits, de l’opinion publique. V. Havel a ainsi pu parler de « bombes humanitaires », fustigeant la violence s’appuyant sur la morale Ainsi, la guerre produit-elle ses propres enjeux qui dépassent le plus souvent ceux des assaillants, plongeant les pays en guerre dans ce que Clausewitz appelait « le brouillard de la guerre ».
Malgré tous ces constats, pourquoi Rony Brauman est-il devenu partisan d’une intervention militaire ? Il s’en expliquera très brièvement. Selon lui, l’emploi massif d’armes chimiques sur des quartiers révoltés revêt un caractère particulièrement atroce, suscite la terreur et l’horreur. Cette escalade doit-être stoppée et, selon lui, seule une intervention extérieure sur des objectifs ciblés (piste aéroport etc..) peut mettre définitivement à l’abri les populations civiles contre ce type d’attaque. Il plaide par ailleurs pour l’interdiction de ces armes à l’échelle mondiale.
Plusieurs intervenants feront part de leur désaccord et de leur incompréhension. Ainsi, l’un d’eux considérera que tuer par les gaz ou par d’autres armes plus « classiques » était tout aussi révoltant. Par contre, un autre rappellera l’intervention des brigades internationales en Espagne en considérant qu’elle était légitime. De même, une personne questionnera l’invité sur la pertinence de l’intervention française au Mali, la trouvant pour sa part plutôt justifiée et réussie, ce qui en fit réagir d’autres. D’autres participants mettront en cause l’appréciation de l’invité selon laquelle les ripostes des Etats-Unis en Afghanistan et les tirs de représailles d’Israël contre les missiles tirés depuis le Liban par le Hezbollah sont justifiées.
Rony Brauman rappellera qu’il était favorable à l’insurrection contre Bachar Al-Assad lors de sa première phase, lorsque les armes servaient principalement à protéger les manifestations de masse, mais la phase actuelle qui voient s’affronter violemment, au sein même de la résistance, des milices concurrentes l’inquiète pour le devenir du pays.
Cependant, il marque son désaccord avec la position de la diplomatie française quand Laurent Fabius écartait l'Iran et Bachar Al-Assad des négociations, faisant preuve d'un absolutisme moral à peu de frais mais non sans conséquences. L'évolution de cette position vers une réunion de toutes les parties concernées lui semble aller dans le bon sens. »