Nous empruntons au blog d’eelv Les Lilas un article publié ce 24 avril 2016 :
« Jadot accuse le gouvernement de «double discours» sur le TAFTA
Par Ludovic Lamant le samedi 23 avril pour Mediapart
L’eurodéputé écologiste Yannick Jadot réagit au durcissement du gouvernement socialiste dans les négociations commerciales avec les États-Unis. « Hollande, Valls et Fekl donnent l’impression de jouer aux altermondialistes, mais la raison pour laquelle ils le font, c’est pour défendre le pire du libéralisme d’aujourd’hui », critique Jadot, qui n’y voit qu’une technique de négociation avec Washington.
François Hollande, Manuel Valls et Matthias Fekl, le secrétaire d’État au commerce extérieur, ont menacé à tour de rôle ces derniers jours de claquer la porte des négociations commerciales avec les États-Unis. L’avenir du TTIP (ou TAFTA, pour ses adversaires) est incertain. L’eurodéputé écolo Yannick Jadot, qui suit les questions commerciales au parlement de Strasbourg, dénonce un « double discours » : « Sous l’apparence d’un discours altermondialiste musclé, le gouvernement durcit la négociation pour obtenir plus de libéralisme de la part des Américains. »
Que pensez-vous du durcissement du discours de l’exécutif sur le TTIP ?
Ce discours démontre la duplicité du gouvernement par rapport au TTIP. Le gouvernement veut faire plaisir aux anti-TAFTA en leur disant : “On est prêts à quitter la négociation.” Mais les raisons pour lesquelles ils sont prêts à quitter cette négociation sont les pires des raisons, puisqu’au fond, ce que François Hollande, Manuel Valls et Matthias Fekl demandent aux Américains, c’est de libéraliser autant que l’Europe l'a fait, en particulier dans l’accès aux marchés publics. Aujourd’hui, les États-Unis ont l’intelligence d’avoir le “Buy American” (“acheter américain”), de privilégier les PME.
Les Américains ont une vision stratégique de leur industrie à travers les marchés publics, alors que l’Europe est la seule entité commerciale au monde à avoir choisi ce que l’on appelle l’ouverture par défaut de ses marchés [les marchés publics sont ouverts aux investisseurs étrangers, sauf exceptions – ndlr]. Tous les autres pays du monde font des marchés publics un instrument politique. Au fond, ce que veulent Hollande, Valls et Fekl aujourd’hui, c’est que les Américains soient aussi bêtes que les Européens, qu’ils ouvrent totalement leurs marchés publics aux entreprises européennes. Ils donnent l’impression de jouer aux altermondialistes, mais la raison pour laquelle ils le font, c’est le pire du libéralisme idiot d’aujourd’hui.
Vous pourriez tout de même, en tant qu’opposant au TTIP, vous réjouir qu’un pays monte au créneau pour dire que ces négociations sont dangereuses.
Je n’ai pas entendu le gouvernement dire que ces négociations étaient dangereuses. J’ajoute que le double discours de la France est confirmé par le fait qu’aujourd’hui, Matthias Fekl, qui avait paru au départ très ouvert à la discussion, refuse désormais tous les débats publics avec les anti-TAFTA. Comme par hasard, il les annule toujours au dernier moment. Il veut apparaître comme un adversaire du TAFTA et ne surtout pas être mis devant ses contradictions.
Paris explique qu’il ne signera rien si des centaines d’indications géographiques ne sont pas reconnues par les Américains, pour protéger les productions agricoles en Europe. Ce n’est pas le “pire du libéralisme”...
Sur ce point, ils ont raison. Mais sur les marchés publics, le gouvernement ne fait que reprendre le discours des firmes de services, comme Veolia ou Suez, ou encore des groupes pharmaceutiques, qui ont tout à gagner à s’emparer d’une partie des services publics. Sous l’apparence d’un discours altermondialiste musclé, le gouvernement durcit la négociation pour obtenir plus de libéralisme de la part des Américains.
Paris estime qu’il est parvenu, avec l’aide de Berlin, à supprimer le mécanisme de règlement dit État-investisseur (ISDS), prévu dans le mandat de négociation du TTIP, et qui aurait permis à une entreprise d’attaquer en justice un État. La Commission européenne défend désormais une “cour des investissements”.
On est en train de nous faire prendre des couteaux de boucher pour des couteaux à beurre. L’ISDS a au moins l’honnêteté d’afficher la couleur : des investisseurs privés vont pouvoir attaquer les États. Le plus gros du boulot sur le nouveau système qui a été présenté, c’est de changer sa dénomination. C’est devenu une “cour”. Très bien. Certes, des éléments ont été améliorés, mais le principe est exactement le même : des investisseurs privés peuvent toujours attaquer des États lorsque ceux-ci prennent des décisions sur l’environnement, la santé, les droits sociaux.
Au moment où l’on a tellement besoin de remettre de la souveraineté démocratique, ils amplifient une mondialisation qui se déploie d’abord au bénéfice des multinationales. Dire que c’est une victoire française et que tout va bien, c’est un jeu de communication foireux. Cela revient à ignorer totalement la réalité. On est en train de construire une nouvelle hiérarchie juridique où le droit privé commercial peut prévaloir sur des droits environnementaux ou sociaux, alors même que personne n’a apporté la preuve qu’il y avait besoin de modifier le système en place.
S’il critique le TTIP, le gouvernement français défend l’accord avec le Canada (CETA), qui sera soumis au vote des eurodéputés à l’automne, en partie grâce aux pressions françaises. Paris le considère comme un accord vertueux : les Canadiens ouvrent leurs marchés publics, reconnaissent plus de 500 indications géographiques en Europe et adoptent la cour des investissements dont on vient de parler. Qu’en pensez-vous ?
Matthias Fekl se met beaucoup en avant sur les victoires qu’il obtient. C’est le jeu, certes, mais il n’y a pas que Matthias Fekl qui fait bouger l’Europe. Le Parlement européen existe, les syndicats, les collectivités locales, les consommateurs se mobilisent. Pendant longtemps, il n’y avait que l’Allemagne, parmi les États membres, qui bougeait sur le dossier et c’est Berlin qui a obtenu les premières modifications sur l’ISDS. Sur le CETA, Matthias Fekl instrumentalise la très belle image qu’ont les Canadiens dans l’imaginaire français. Encore plus depuis l'arrivée de Justin Trudeau [le nouveau premier ministre – ndlr]. Mais dans la réalité, quand on obtient des Canadiens qu’ils remettent en cause leur politique de médicaments génériques pour renforcer la protection des brevets des firmes étrangères, ça va coûter cher à la santé canadienne. Et quand il y a des quotas de bœuf ou de porc canadiens prévus pour le marché européen, ça va coûter cher à nos éleveurs. Quant à la Cour, je le répète : ce ne sont que des modifications cosmétiques par rapport à la rupture juridique de fond qui se joue. D’autant qu’il y a 40 000 entreprises américaines qui vont pouvoir passer par leur filiale implantée au Canada pour attaquer l’Europe. Ce qui veut dire que ce que l’on aura signé avec le Canada, en matière de droit à l’investissement, on l’aura signé avec l’ensemble de l’Amérique du Nord. Et l’on aura perdu énormément en matière de souveraineté .
L'entretien a été réalisé le 22 avril à Barcelone, en marge d'une réunion de collectivités européennes « anti-TAFTA ». Il n'a pas été relu par Yannick Jadot »