Heine
« C'était il y a 217 ans le 13 décembre 1797, naissait à Düsseldorf (duché de Berg) Harry Heine qui fut l'un des plus grand poètes allemands du 19e siècle. Il ne sera pas question ici du Heine poète et critique musical avisé mais de questions sociales et politiques. à travers essais et articles politiques.
Le duché de Berg, État satellite de la France impériale entre 1806 et1813, devait être dans l'esprit de Napoléon un modèle pour les autres états composant la Confédération du Rhin : introduction du Code civil, fin du servage et du régime féodal, réforme agraire...
Harry Heine grandit dans une famille de commerçants drapiers imprégnée de l'esprit de la Haskala (mot hébreu traduit par bildung en allemand : éducation), mouvement juif des 18 et 19e siècles fortement influencé par l'esprit des Lumières européen. Destiné au commerce et à la banque , il fait des études en conséquence mais s'intéresse surtout à la littérature. A Berlin de 1821 à 1823 il suit les cours de philosophie de Hegel puis passe à Göttingen son doctorat de droit en 1825 et songe à devenir avocat mais n'exercera jamais.
Pour augmenter ses chances en tant que juriste il se fait baptiser cette même année 1825 dans le rite protestant sous le prénom de Heinrich sous lequel il est désormais connu mais il s'aperçoit vite que malgré son baptême il reste un juif converti et un paria en Allemagne. Il se consacre alors à l'écriture, son oncle Salomon banquier à Hambourg le soutenant financièrement jusqu'à la mort de ce dernier en 1844.
Contrarié par la censure des États allemands, surtout en Prusse, il part en 1831 pour Paris où va se dérouler maintenant sa vie. Dans cette ville où il n'est qu'un Allemand et non un Juif Allemand, il se sent libre. Il fréquente l'intelligentsia parisienne (Balzac, Nerval, Gautier, Chopin, Sand) et épouse à Paris en 1841 une vendeuse de chaussures sans instruction Augustine Mirat qui lui inspire sous le prénom de Mathilde de magnifiques poèmes. Il meurt en 1856 après avoir été cloué pendant huit ans au lit (son matelas-tombeau) par une maladie dégénérative.
Les livres qu'on brule
En 1821, alors à Berlin Heine fait paraitre Almansor où il écrit :
Ce n’était qu’un début. Là où on brûle
des livres, on finit par brûler des hommes.
Cette phrase toujours aussi tragiquement vrai, surtout écrite par un Juif allemand, doit être lue sur plusieurs niveaux.
- Heine s'intéresse à la civilisation arabe en Andalousie, région que les Musulmans ont gouvernée presque huit siècles de 711 à 1492. A cette date les Juifs sont forcés de choisir entre la conversion ou l'exil. Après dans un premier temps être laissés libres les Musulmans se voient proposer le même choix en 1502. Les Musulmans même convertis, les Morisques, restant fidèle à leur mode de vie et à leur langue sont finalement expulsés en 1609. Francisco Jiménez de Cisneros, un cardinal franciscain, ascétique mais impitoyable en matière de conversion, fit détruire des milliers de Corans et de manuscrits arabes et juifs. Dans sa tragédie Heine raconte que le cardinal fit jeter un Coran dans les flammes sur la grand place de Grenade. Hassan le serviteur du père d'Almansor prononce alors les fameuses paroles ci-dessus.
-Le 17 octobre 1817 a lieu la première fête de la Wartbourg (Wartburgfest) en Thuringe autour du château qui abrita Martin Luther en 1521 et où ce dernier fixa la langue allemande dans sa traduction de la Bible. C'est donc un haut lieu du nationalisme allemand qui inspira Richard Wagner pour son Tannhäuser, ces deux personnages ayant d'ailleurs eu des réflexions antisémites qui suscitent toujours des controverses actuellement (Des Juifs et de leurs mensonges Luther 1543).
Environ 500 étudiants se réunissent pour fêter le 4e anniversaire de la bataille des nations (Leipzig 1813) et le 300e anniversaire des 95 Thèses de Luther affichées le 31 octobre 1517 veille de Toussaint sur la porte de l'église de Wittemberg. On y brule en autodafé des oeuvres jugées réactionnaires dont des Codes civils napoléoniens et la Germanomania de Saül Ascher un Juif allemand ainsi que des symboles réactionnaires prussiens.
Cette fête a un énorme retentissement dans les États allemands.
Heinel écrit en 1840, "A la Wartburg règne une sorte de Teutonomania étroite, qui gémit beaucoup sur l'amour et la foi, mais dont amour était rien d'autre que la haine de l'étranger et dont la croyance se composait uniquement de l'irrationalité, et qui, dans son ignorance, ne savait rien de mieux à faire que de brûler les livres.
La Prusse et l'Autriche en profiteront en 1819 pour supprimer tous les mouvements libéraux (décrets de Karlsbad) .
- le 10 mai 1933 dans plus de vingt villes allemandes des autodafés de livres sont organisées dans l'esprit de la Wartburg sous la houlette des fédérations d'étudiants allemands notamment devant l'opéra de Berlin en réaction contre l'esprit non allemand. Le point 5 du programme annonce : "Le juif ne peut penser que comme juif. S'il écrit en allemand, il ment".
On le voit l'antisémitisme allemand a une longue histoire
France et Allemagne
Heine a écrit en 1834 cette pensée dans Histoire de la religion et de la philosophie en Allemagne. à l'adresse des Français:
« Le christianisme a adouci jusqu'à un certain point cette brutale ardeur batailleuse des Germains, mais il n'a pu la détruire, et quand la croix, ce talisman qui l'enchaîne, viendra à se briser, alors débordera de nouveau la férocité des anciens combattants, l'exaltation frénétique des Berserkers que les poètes du Nord chantent encore aujourd'hui. […] La pensée précède l'action comme l'éclair le tonnerre. Le tonnerre en Allemagne est bien à la vérité allemand aussi : il n'est pas très leste, et vient en roulant un peu lentement ; mais il viendra, et quand vous entendrez un craquement comme jamais craquement ne s'est fait encore entendre dans l'histoire du monde, sachez que le tonnerre allemand aura enfin touché le but. .... On exécutera en Allemagne un drame auprès duquel la révolution française ne sera qu'une innocente idylle. »
A l'opposé de ce nationalisme ethnique où l'on voit ressurgir le dieu Thor, Heine admire la France de la Révolution qu'il prend d'un bloc de 1789 à 1815. Car Heine admire Bonaparte et reste reconnaissant à Napoléon d'avoir fait des Juifs des citoyens.
En effet même si le Code Napoléon est le plus souvent en retrait sur les lois révolutionnaires il faut se souvenir de l'impact des idées révolutionnaires et du vent de liberté qu'il a porté dans toute l'Europe : méritocratie, égalité devant la justice et l'impôt. Par son action (sans en oublier le côté noir) Napoléon a libéré les esclaves à Malte en 1798, réveillé une Égypte endormie dans le colonialisme ottoman, brisé le féodalisme en Italie et Allemagne. Il a surtout par des victoires comme Austerlitz assuré la pérennité des idées révolutionnaires. La Prusse sous la pression a dû abolir le servage en 1807. En 1815 après Waterloo, c'est le retour de la féodalité, de la Terreur Blanche et du religieux. La Sainte Alliance fait peser une chape de plomb sur l'Europe.
N'oublions pas que la France représente pour le Monde depuis 1789 et notamment au 19e siècle le pays de la liberté (la seule grande République en Europe en 1848 et 1871) sauf épisode antisémite fin 19e conclut brillamment par la victoire des Dreyfusards et période de l'État croupion pétainiste de 1940-44 imposé par la guerre. (Heureux comme Dieu en France - Wie Gott in Frankreich leben) disent les Juifs, comme les Irlandais et Polonais persécutés, les Italiens carbonari poursuivis par la police, les homosexuels comme Oscar Wilde ou les Noirs comme Josephine Baker dans les années 1930 et bien d'autres.
A l'opposé Heine (comme le baron d'Holbach au siècle précédent) critique sévèrement l'oligarchie anglaise devenue maitresse du monde qui s'appuie sur les banques de la City, la drogue (les guerres de l'opium), la mise en coupe réglée de l'Inde et de l'Irlande et la misère de son prolétariat (voir La situation des classes laborieuses en Angleterre Engels 1845).
La question sociale
En 1830 Heine écrit : « Mais quelle est la grande tâche de notre temps ? C’est l’émancipation, non pas seulement celle des Irlandais, des Grecs, des juifs de Frankfort, des noirs d’Amérique et autres populations également opprimées, mais celle du monde entier, et spécialement de l’Europe, qui est devenue majeure, et qui rejette aujourd’hui les lisières de fer des privilégiés, de l’aristocratie.
Pendant un temps, Heine se rapproche des socialistes dits utopiques (expression polémique reprise par les marxistes se prétendant réalistes) comme Prosper Enfantin, un Saint-Simonien qui veut ouvrir le monde par de grands travaux. Pourtant les coopératives et le féminisme ont survécu au marxisme et sont des idées d'avenir. Enfantin, emprisonné en 1832 pour ses écrits libéraux, est en France à l'origine du développement du chemin de fer et il inspire Ferdinand de Lesseps qui creusera les canaux de Suez et de Panama.
Heine est l'ami de Karl Marx un autre Juif allemand, son cadet de 21 ans, en exil à Paris à partir de 1843. Ils partagent la philosophie de Hegel. Marx fait paraitre dans son journal Vorwärts le célébre poème de Heine Les Tisserands Silésiens de juin 1844, traduit en anglais par Engels, inspiré de la révolte des tisserands et qui fut interdit en Prusse sous peine de prison :
Maudit soit le Roi, le Roi des riches,
Que notre misère ne put émouvoir.
Dans notre poche il prit le dernier denier.
Puis nous fit fusiller comme des chiens.
Nous tissons, nous tissons!
Heine en 1855 dans Lutèce pense que le communisme est l'avenir mais il redoute l'opposition entre celui-ci et la libre création artistique. Il a en tout cas très bien entrevu le choc entre nationalisme allemand et communisme.
En conclusion Heine fut un passeur d'idées entre la France et l'Allemagne mais n'oublions pas sa poésie : le Roi des Aulnes et la Lorelei qui peigne ses cheveux d'or au bord du Rhin.
André MAUDET »
