Nous publions ci-dessous l’éditorial de cette semaine du blog de Noël Mamère :
« Ubu Roi ?
Edito du 2 février 2009
Que des millions de grévistes et de manifestants battent le pavé le jeudi 29 janvier, que partout où va Sarkozy, les huées et les broncas accueillent notre mini César, que la crise, chaque jour plus forte, sème la colère, rien de tout cela n’ébranle nos thuriféraires du régime.
D’Etienne Mougeotte à nos ministricules, les courtisans sont à l’oeuvre dans les medias pour tancer le mouvement social et minimiser ce ras -le-bol national sans précédent. Droits dans leurs bottes, comme Juppé en 1995, ils serrent les rangs autour du Président. Ce n’est pas une révolution, mais les moutons ne se laissent plus tondre sans un mot. La révolte gronde et le pouvoir feint de ne pas l’entendre.
Ce qui s’est passé le lendemain du 29 janvier en dit plus long sur ce régime ultra-personnel que de nombreux discours. La révocation du Préfet et du directeur de la sûreté publique de la Manche est un fait du prince dans la plus pure tradition Louis-Philipparde. Cachez ces manifestants que je ne veux pas voir, que je croyais disparus depuis l’année dernière, quand j’avais déclaré devant mes comparses : « Quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit »... L’arrogance du locataire de l’Elysée est telle qu’il n’hésite plus à faire de ses sautes d’humeur et de ses trépignements une affaire d’Etat. Si loin de la réalité, il n’a pas compris que les postiers, les cheminots, les infirmières, les salariés du privé, les enseignants, défilaient d’abord pour le respect de leur dignité, pour la justice, et pour refuser cette politique échevelée de contre - réformes qui détruisent le modèle social en pleine crise mondiale.
Le sentiment général est que ce pouvoir a disjoncté, en voulant imposer, d’un côté, la retraite à 70 ans et le travail du dimanche, autant de mesures provocatrices et, de l’autre, en accordant aux banques et aux privilégiés des libéralités sans limites. Les conditions mûrissent pour que les contestations isolées se transforment en un mouvement plus profond et plus politique, qui sera d’autant plus violent que Sarkozy n’a eu de cesse de casser et de délégitimer les espaces de négociations intermédiaires (élus, syndicats , associations) pour instaurer un rapport direct entre sa personne et des français atomisés, réduits à l’état de consommateurs télé-dépendants.
L’autocrate paie aujourd’hui le prix de sa politique. Il perd son sang-froid, s’énerve, en maniant l’autoritarisme et en faisant des exemples parmi sa propre police. Si la situation n’était pas si critique, ce comique ubuesque ne serait qu’une fanfaronnade de plus. Mais dans les temps qui viennent, ces bouffées de césarisme risquent de mettre le feu à la plaine sans que le pompier-pyromane, dopé par sa propre suffisance, ne s’en aperçoive.
Ubu Roi ne voit, n’entend, n’écoute plus rien, ni personne d’autre que lui même. Et quand de simples slogans parviennent à ses chastes oreilles, c’est qu’ils ont été ourdis dans son dos par des éléments de son administration qu’il jette aussitôt dans les placards de la République. Quand on en arrive à de telles mesures grotesques, c’est que quelque chose s’est cassé dans la machine du pouvoir. A trop longtemps avoir surestimé sa propre capacité à contrôler l’Etat et la société, la presse et la police, le Parlement et les syndicats, la majorité et l’opposition, on perd les pédales au moindre dysfonctionnement. C’est ce qui vient de se passer. Mais rappelons nous la Corse et la décision de limoger le responsable de la sécurité, Dominique Rossi, suite au sit-in des nationalistes chez Christian Clavier, l’ami du Président. Rappelons nous les diverses mises en garde aux journalistes et le licenciement d’Alain Génestar du JDD ou, encore, la décision de nommer et de révoquer le Président de France Télévisions... Chez Sarkozy, le pouvoir absolu doit s’appliquer absolument.
Quel contraste avec Lula qui, avec cinq autres présidents d’Amérique latine, tenait table ouverte la semaine passée au Forum Social de Belém où il dialoguait avec les mouvements sociaux de toute la planète. On peut ne pas être d’accord avec la politique du Président brésilien, mais il n’a pas ce mépris affiché qu’affecte Sarkozy pour ceux qui lui tiennent tête. Le dialogue et la démocratie participative ne peuvent se réduire à des parodies d’ouverture. Ils répondent à une orientation politique, forgée des années durant dans une tension positive entre la société civile et les acteurs politiques. Les règles de conduite de notre Ubu roi sont l’exact contraire de ces valeurs. Quand il gouverne seul avec sa cour, le mouvement altermondialiste parie sur un processus de conscientisation collectif. Quand il prône la télé-gouvernance, le mouvement altermondialiste s’appuie sur les acteurs de terrain. Quand il défend les intérêts des multinationales, de ses amis du Cac 40 et des profiteurs en tout genre, le mouvement altermondialiste soutient les « damnés de la terre », paysans sans terre, chômeurs, précaires et travailleurs pauvres, jeunes, avec ou sans diplômes mais, surtout, sans avenir. Quand il fait des pirouettes devant les puissants, de Poutine à Hun Jintao, de l’Etat d’Israël à ceux de la Françafrique, le mouvement altermondialiste se bat contre la corruption, la guerre de civilisation, le colonialisme et les dictateurs en tout genre. Quand il détruit les services publics et démantèle le Code du Travail, le mouvement altermondialiste se bat pour les biens communs et contre la marchandisation. Belém et Sarkozy. Deux visions du présent, deux histoires de l’avenir.
Noël Mamère, 2 février 2009
P.S. 1 : Décidément la gauche recyclée, de Besson à Kouchner , commence à sentir le moisi. La semaine dernière c’était le nouveau Ministre de l’Identité nationale qui faisait un lapsus avec « l’invasion » des immigrés ; cette semaine l’affaire Kouchner, décryptée par Pierre Péan, nous montre qu’une fois de plus le proverbe populaire « qui se ressemble s’assemble » n’est pas un vain mot..
P.S. 2 : L’annonce de la construction de nouveaux réacteurs EPR est révélatrice du type de « développement durable » défendu par le gouvernement. Si l’écologie industrielle consiste à soutenir les docteurs Folamour d’Areva et du CEA, qui mesurent la croissance verte aux kilowatts délivrées par l’énergie nucléaire pour lutter contre le réchauffement, les défenseurs des acquis du Grenelle doivent se faire bien du souci. En 5O ans, le nucléaire n’a pas créé plus de 100000 emplois. En Allemagne, la politique de développement des énergies renouvelables et des économies d’énergie a déjà créé 250000 emplois. Où est le new deal vert que nous annonçait le Grenelle de l’environnement ? Où est l’investissement écologique dans le plan de relance ? Imposture et archaïsme, tels sont les dominantes de ce régime qui ne trouve malheureusement pas d’opposition sérieuse en face de lui.
P.S. 3 : Benoît XVI dépasse la mesure. La levée de l’excommunication des quatre évêques intégristes, dont Mgr Williamson qui a tenu des propos négationnistes, sont dans la lignée de la réhabilitation de Pie XII, de la chasse aux théologiens de la Libération, de la remise en cause de Vatican II. Pour regagner des parts de marché face aux sectes évangéliques et charismatiques, Benoît XVI met le cap à droite toute. Mais comme il y a des limites à tout, le temps de l’Inquisition étant pour l’instant révolu, ces gesticulations seront profitables à ses concurrents en religion. Malraux avait prédit que le XXIème siècle verrait le retour des religions. Il n’avait pas prévu que ce serait aussi celui du temps béni des intégrismes. Jean XXIII, reviens, ils sont devenus fous ! »
