Nous publions ci-dessous le remarquable éditorial du député Vert Noël Mamère mis en ligne le 1er décembre sur son blog et consacré à « l’affaire des neuf de Tarnac ».
« Le libéralisme en crise accouche toujours de l’autoritarisme. Nicolas Sarkozy est un spécialiste de l’instrumentalisation de la peur comme variable d’ajustement de la gouvernance. Il vient de le montrer récemment avec l’affaire des « neuf de Tarnac ».
Le 11 Novembre 2008, la police procède à quinze interpellations et, par la suite à la mise en examen de neuf personnes, dont cinq sont jetés en prison dans le cadre d’une enquête concernant la pose d’engins ayant détruit des caténaires sur les voies de TGV.
Cette affaire mobilise trois appareils au service d’un pouvoir qui organise l’orchestration d’une campagne sécuritaire d’Etat. Premier dispositif concerné : la police, bien sûr. Mais pas n’importe quelle police. C’est la DCRI, nouvelle mouture de la DST depuis le décret du 27 juin 2008, qui a organisé l’opération. Or, la DCRI a étendu ses compétences à la surveillance de groupes et individus dont le caractère radical pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. Cette extension porte en germe l’assimilation de tout groupe un peu décalé à une « entreprise terroriste » ce qui a été fait dès l’arrestation des neuf jeunes présumés coupables le 11 novembre au matin.
L’appareil judiciaire a pu embrayer ensuite sans la moindre distance. Les juges parlent de « noyau dur » et mettent cinq personnes en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Le procureur de la république parle du village de Corrèze comme d’un « camp d’endoctrinement ». Mais ce qui m’a le plus frappé dans cette affaire, c’est la propension du cinquième pouvoir, la presse, à s’engager dans ce que je n’hésite pas à appeler un lynchage médiatique en règle. Dans un premier temps, la multiplication des incidents est présentée comme la résultante d’une forme nouvelle de terrorisme. Dans un deuxième temps, après avoir montré du doigt les cheminots, l’arrestation médiatique de jeunes est présentée comme celle d’héritiers de Jean-Marc Rouillan et d’Action Directe. Sans aucune preuve, on jette en pâture aux médias des bribes d’informations sur des faits invérifiables, une brochure néo situationniste, « L’insurrection qui vient », en vente depuis des mois dans plusieurs librairies, des photos du « leader » du groupe et de sa compagne. Les Verts sont même mentionnés en raison de la présidence, quelques mois durant, de la Fédération européenne des Jeunes écologistes par un des inculpés. La presse a rapporté sans retenue la version politique de la ministre de l’Intérieur. Elle a assimilé la mouvance autonome, anarchiste, en la caractérisant d’un épithète, « l’ultra gauche », en l’amalgamant au terrorisme. Elle a présenté le paisible village de Tarnac comme une base arrière d’un complot organisé contre l’Etat. Ce grand délire a été tempéré par la suite, faute de preuves convaincantes. Mais le mal est fait une fois de plus. Comme à Outreau. La mémoire collective se souviendra d’abord de la mise en scène du lynchage virtuel. Pourtant, la presser devrait prendre garde à se lancer dans des prospectives hasardeuses. L’affaire de la perquisition contre le responsable de Libération, Vittorio de Fillipis l’atteste. Ce genre de campagne peut être étendu à la liberté d’expression des journalistes. Nicolas Sarkozy, qui a rétabli le crime de lèse majesté avec l’histoire des poupées vaudou et la reprise ironique de sa réplique du Salon de l’agriculture (« casse toi pauv’con ») pourra l’étendre à la lettre de cachet. L’Histoire nous apprend qu’un pouvoir aux abois n’hésite jamais à franchir la frontière entre le délit de contestation sociale et l’accusation d’acte de terrorisme.
Évidemment, je condamne les actes de vandalismes commis sur les caténaires, qui ont paralysé des milliers d’usagers du train. Ils n’ont rien à voir avec de la désobéissance civile et n’ont servi dans un premier temps qu’à jeter l’opprobre sur les cheminots soupçonnés d’avoir porté atteinte à leur outil de travail. Mais l’abus de langage que constitue l’accusation de ces neuf personnes "d’entreprise terroriste" et les procédures d’exception mise en œuvre dans ce cadre ne correspondent pas aux normes d’une justice respectueuse des droits humains. Cette affaire est inquiétante, car elle est exemplaire d’une stratégie de la tension, organisée par un tat qui cherche à détourner l’attention de la récession qui s’annonce après la crise financière mondiale. Cette opération est disproportionnée. En l’absence de preuves formelles, elle a un objet et un seul : construire de nouveaux ennemis de l’intérieur. Le fait d’avoir stigmatisé une petite communauté, qui prône l’anti-consumérisme et un autre modèle de société, est symptomatique de la période. Alors qu’avec la guerre menée en Afghanistan , la France n’a jamais été aussi menacée par les groupes liés à Al Qaïda, on construit maintenant une nouvelle figure sociale du « terrorisme » : le jeune intellectuel qui prétend s’opposer au capitalisme et à ses conséquences. Avec l’aide d’Alain Bauer, son criminologue en chef, Sarkozy a saisit l’intérêt de cette nouvelle étape du tout sécuritaire. Après l’intimidation contre les sans-papiers, après la diabolisation des musulmans, assimilés à des islamistes intégristes, voilà que c’est la jeunesse contestataire de l’ordre en place qui subit les foudres du pouvoir d’Etat. Cette stratégie qui ne fait qu’exacerber les tensions et ne respecte pas les libertés publiques est d’autant plus grave qu’elle intervient au moment où avec plus de deux millions de chômeurs, une baisse drastique du pouvoir d’achat et la récession qui s’annonce, nombreux pourraient être ceux qui basculent dans une action violente, désespérés par l’impuissance des politiques. Le spectacle effarant du PS lors de son dernier congrès et l’émiettement à gauche, ne donnent pas beaucoup d’espoir à la jeunesse d’aujourd’hui. Sarkozy et MAM jouent aux apprentis sorciers. Attention, danger !
Les déclarations médiatiques de la Ministre de l’Intérieur et l’acharnement à condamner ces citoyens en l’absence d’indices clairs bafouent le principe fondamental de la présomption d’innocence... Une justice digne de ce nom ne doit s’attacher qu’aux faits et faire en sorte que la justice puisse être rendue, en l’absence de pressions politiques. Comme de nombreuses personnalités, en l’absence de preuves formelles, j’appuie la demande de remise en liberté des cinq détenus en attendant leur jugement. Les opérations policières disproportionnées qui ont été menées de Villiers-le-Bel à Tarnac, en tentant souvent d’instrumentaliser les médias, doivent cesser. Les démocrates de tout bord doivent s’interposer et refuser cette logique de la tension.
Noël Mamère, le 1er décembre 2008 »
Le blog de Noël Mamère :
http://noelmamere.fr/