La première crise socio-écologique du capitalisme
Voici le compte-rendu (toujours réalisé par Sinople) de la dernière table-ronde des deux journées des Verts européens qui se sont tenues à Montreuil en octobre était consacrée à la crise actuelle. Au moment où tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une réponse européenne coordonnée, comment analyser cette crise et quelles mesures adopter pour y faire face ?
Jérôme GLEIZES, Professeur d’économie à l’Université de Paris XIII et membre du Conseil Exécutif des Verts introduisit le débat en tentant de caractériser cette crise. Analyser la crise uniquement sous l’angle financier est insuffisant. La crise financière n’est pas la cause mais la conséquence. Elle résulte d’une "crise de régulation" plus globale, marquée par trois périodes clés. Tout d’abord, il a eu la fin du compromis fordien, selon lequel la rémunération des salariés était calquée sur leur productivité. Ce modèle est entré en crise dans les années 70s. Ensuite, le modèle néo-libéral s’est substitué au modèle fordiste. Le crédit privé occupe une place essentielle : il alimente la consommation, donc la production et la croissance économique. Dans ce modèle, il faut sans cesse inventer de nouveaux besoins, tandis que l’endettement des ménages est une composante clé du système. Il suscite une épargne négative aux Etats-Unis et provoque la crise des subprimes. La crise actuelle est une crise de l’accumulation physique du capital, qui provient de l’incapacité à prendre en compte la problématique du non-renouvellement des matériaux naturels (considérés comme gratuits), et les externalités négatives des modes de production (comme le changement climatique). La crise financière ne peut être abordée uniquement sous l’angle d’une nouvelle régulation financière, mais doit être abordée dans un contexte plus large, à savoir celui d’une crise écologique, qui nécessite la confection d’un "New Deal" pour la résoudre.
Pascal CANFIN, journaliste à Alternatives Economiques et président de la Commission « Economie » des Verts. Trois grands mécanismes ont conduit à la crise actuelle. Premièrement, la dérégulation du système financier, entamé depuis la fin des années 1980, a permis le développement de nouveaux produits financiers opaques et totalement déconnectés de l’économie réelle. Les règles prudentielles mises en place pour contrôler l’activité bancaire ont largement été contournées. Deuxièmement, on a assisté à un afflux massif de nouveaux capitaux dans cette économie "casino" : la rente des matières premières en provenance de Russie et des pays du Golfe ; la financiarisation des systèmes de protection sociale, etc. Troisièmement, il a la question du surendettement, qui a alimenté tout le système. In fine, ce sont ces crédits immobiliers et à la consommation, accordés à des personnes de moins en moins solvables, qui ont été revendus par des banques américaines à d’autres acteurs financiers et qui ont ensuite grippé l’ensemble du système financier. Réguler le marché financier, définanciariser la protection sociale, désendetter sont autant de pistes à suivre pour résoudre la crise à long terme, sans compter qu’il faut changer les mentalités. Il y a de véritables rapports de forces politiques nouveaux à construire sur ces questions et les écologistes doivent être présent pour montrer leurs spécificités.
Pierre JONCKHEER, député européen belge et vice-président du groupe des Verts a poursuivi en indiquant que ce que la crise financière met en évidence, c’est l’insuffisance de règles européennes en matière de contrôle et d’organisation du système bancaire et financier. Davantage d’Europe est nécessaire pour régler la crise. Il faut repenser de fond en comble la réglementation du secteur financier. La Commission européenne doit cesser avec son orientation du laisser-faire. Les autorités bancaires et monétaires européennes doivent faire des propositions qui favorisent les investissements à long terme et à taux modéré, indispensables pour atteindre les objectifs de la Stratégie de Lisbonne, et du "Paquet énergie-climat". Un ensemble de directives doivent être revues, pour limiter la prise de risques inconsidérée. Il faut notamment limiter la titrisation, instaurer un autorité européenne de supervision financière et dans le domaine des fonds spéculatifs, il incombe de les recadrer davantage pour éviter qu’ils génèrent une crise systémique. A ce titre, les nationalisations des banques qui sont en danger doit constituer une opportunité de rétablir un lien entre l’économie et les défis socio-écologiques auxquels nous sommes confrontés.
Stéphane ROZES, Professeur en Sciences Politiques. Dans l’imaginaire des Français, les logiques financières empêchent les citoyens de se projeter dans l’avenir. On n’arrive plus à saisir la cohérence du système économique et on a ainsi tendance à se réfugier dans l’Etat-Nation considéré comme la meilleure protection. Il y a un processus d’intériorisation des contradictions des citoyens, entre leur prise de conscience des enjeux écologiques, qui en appellent à des modifications de leur mode de vie, et leur conduite. Il y a un clivage entre l’imaginaire et la réalité. La crise financière compacte les questions écologiques et sociales. L’espace politique des Verts doit donc être de montrer que le souhaitable est possible. Cette crise est l’occasion de re-politiser le débat européen.
Alain LIPIETZ a conclu cette table ronde. La crise financière actuelle témoigne de la crise du capitalisme libéral. Les solutions à cette crise sont donc anti-libérales. Parce que la crise financière n’est rien d’autre qu’une crise écologique, les solutions vont au-delà de l’amélioration de la régulation financière. Il faut repenser un éco-modèle du développement. Il faut garder à l’esprit qu’au lendemain de la crise de 1929, les solutions politiques en Europe étaient de trois ordres : la social-démocratie, le stalinisme et le fascisme. C’est le fascisme qui a gagné dans un premier temps. Pourquoi ? Parce que c’était la réponse la plus entrainante ! Nous devons être ceux qui proposent les solutions les plus enthousiasmantes : nous devons faire comprendre que c’est « amusant » de sauver la planète, c’est la seule solution pour que nous y réussissions.