Voici la deuxième partie de l’article sur l’appel du 10 juillet de Maurice Thorez et Jacques Duclos,
suivie du commentaire d’un historien
et de notre conclusion.
Deuxième partie de « Peuple de France » appelé appel du 10 juillet 1940 :
« (…) Les droits du Peuple
Le Peuple a le droit d'exiger que son travail profite à la collectivité et non à quelques parasites capitalistes, et il a le droit de demander des comptes à ceux qui ont fait le malheur du pays, fauteurs et profiteurs de guerre, ministres d'hier et d'aujourd'hui, généraux traîtres et incapables.
Le Peuple a le droit d'exiger la mise en accusation des responsables de la guerre et des désastres de la France.
Le Peuple a le droit d'exiger la libération des défenseurs de la Paix et le rétablissement dans leurs droits et fonctions des élus qui ont combattu la guerre.
Le Peuple a le droit d'exiger l'abrogation des mesures de lotion prises contre les groupements politiques, syndicaux, coopératifs, culturels et autres en raison de leur hostilité à la guerre.
Le Peuple a le droit d'exiger le rétablissement des libertés syndicales et le rétablissement dans leurs fonctions des délégués élus et des conseillers prudhommes déchus par le gouvernement des fauteurs de guerre.
Le Peuple a le droit d'exiger la parution en toute liberté des journaux en qui il avait confiance, qui lui disaient la vérité et qui ont été interdits à cause de cela.
Le Peuple a le droit d'exiger que soient reconnus les droits sacrés des mutilés, des veuves, des orphelins, des vieux parents dont le fils a été tué. Les victimes de la guerre ne laisseront pas Pétain déclarer que I'État ne fera rien pour elles en même temps que les profiteurs de guerre gardent les milliards volés au Pays.
Mais ces droits, le Peuple devra les imposer par son union et par son action.
Le Peuple français qui paie si cher les crimes des fauteurs de guerre, veut de toutes ses forces la Paix dans l'indépendance complète et réelle de la France. Il n'y a de Paix véritable que dans l'indépendance des peuples et les Communistes qui revendiquent pour la France le droit à son indépendance, proclament aussi le droit à l'indépendance des peuples coloniaux asservis par les impérialistes.
Au surplus, le Peuple de France peut constater que c'est guidés par la haine du peuple que les gouvernants français nous ont conduits à la guerre et se préparaient à attaquer le Pays du Socialisme comme le prouvent les télégrammes échangés entre Gamelin et Weygand sur le bombardement de Bakou et de Batoum.
L'URSS de Lénine et de Staline, pays du Socialisme et espoir des travailleurs du monde, est le rempart de la Paix comme elle vient de le montrer une fois de plus en réglant pacifiquement avec la Roumanie la question de la Bessarabie et de la Bukovine du Nord. En défendant le pacte gerrnano-soviétique, en août 1939, nous avons opposé à la politique des fauteurs de guerre, la politique stalinienne de paix et aujourd'hui, nous avons conscience de servir la cause de la paix et de l'indépendance de notre pays, en demandant la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique.
Un Gouvernement du Peuple
Pour relever la France, pour remettre la France au travail, pour assurer son indépendance dans la Paix, pour assurer la sauvegarde des droits du Peuple, pour libérer notre Pays des chaînes de l'exploitation capitaliste et de l'oppression il faut chasser le Gouvernement de traîtres et de valets dont le chef Pétain a dit cyniquement aux blessés, aux réfugiés, à ceux qui ont tout perdu « l'Etat ne pourra rien pour vous ».
Le gangster de la politique Laval, le radical staviskrate Chautemps, les Socialistes Rivière et Février, le PSF Ybarnegaray et autres politiciens vendus à la Frossard et à la Marquet ont imposé la Constitution de Vichy pour faire peser sur le Peuple de France la dictature des forbans.
Avec la Constitution de ces Messieurs, plus de liberté d'opinion, de presse, d'association, plus de libertés syndicales, plus de pensions pour les anciens combattants, plus d'assurances sociales, plus d'élections pour désigner les membres de la Chambre qui seront nommés par les Ministres, et puis enfin, un seul Parti autorisé, le Parti de Laval, La Rocque, Doriot, Chautemps, Frossard, Rivière, Février et Cie.
La complicité du Parti Radical et du Parti Socialiste a permis à Pétain de se faire nommer dictateur, mais derrière lui c'est Laval, son remplaçant éventuel qui détient le pouvoir, A peine les ministres radicaux et socialistes avaient-ils assuré l'étranglement des libertés publiques qu'ils disparaissent de la scène pour laisser place aux réactionnaires Lemery et Piétri et à M. Mireaux, directeur du « Temps », « la bourgeoisie faite journal », comme disait autrefois Jules Guesde.
Ce gouvernement de honte où se retrouvent aux côtés de militaires battus, les Bazaine de 1940, et aux côtés d'affairistes notoires, des politiciens tarés, déshonore la France.
Voilà travailleurs et démocrates français les résultats de la politique de Daladier, Blum et consorts qui, en frappant le Parti communiste français, ont préparé la destruction des libertés républicaines dans notre pays et viennent d'aider Laval-Marquet et Weygand à devenir les maîtres de la France.
Mais le Peuple de France ne se laissera pas faire. A la ville, dans les campagnes, dans les usines, dans les casernes doit se le front des hommes libres contre la dictature des forbans.
A la porte le gouvernement de Vichy ! A la porte le gouvernement des ploutocrates et des profiteurs de guerre !
C'est un tout autre gouvernement qu'il faut à la France.
Un gouvernement que l'unité de la Nation rendra possible demain; un gouvernement qui sera la renaissance nationale composé d'hommes honnêtes et courageux de travailleurs manuels et intellectuels n'ayant trempé en rien dans les crimes et combinaisons malpropres de la guerre; un gouvernement du Peuple, tirant sa force du Peuple, du Peuple seul et agissant exclusivement dans l'intérêt du Peuple.
Voilà ce que pense le Parti Communiste, voilà ce qu'il te dit, Peuple de France, en ces heures douloureuses en t'appelant à t'unir dans tes Comités populaires de solidarité et d'entraide, dans les syndicats, dans les usines, les villes, les villages, sans oublier jamais que tous unis, nous relèverons la France, nous assurerons sa liberté, sa prospérité et son indépendance.
Sous le signe de la lutte contre le régime capitaliste générateur de misère et de guerre, d'exploitation et de corruption, qui a déjà disparu sur un sixième du Globe en URSS, sous le signe de l'unité et de l'indépendance de la Nation; sous le signe de la fraternité des Peuples, nous serons les artisans de la renaissance de la France.
A bas le capitalisme générateur de misère et de guerre !
Vive l'Union Soviétique de Lénine et Staline, espoir des travailleurs du Monde.
Vive l'unité de la Nation Française.
Vive la France libre et indépendante.
Vive le Parti Communiste Français, espoir du Peuple de France.
Vive le Gouvernement du Peuple au service du Peuple !
MAURICE THOREZ Secrétaire Général Jacques DUCLOS Secrétaire »
Charles TILLON
Le commentaire de texte par Vincent Simon, professeur d’histoire
« Une lecture attentive de l’ensemble du texte conduit à nuancer, sinon à infirmer catégoriquement, sa portée résistante. la célèbre phrase « jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves » affirme selon l’historiographie communiste « le refus du peuple de France d’accepter l’oppression intérieure et extérieure qui s’établit ». Le texte, signé par Maurice Thorez et Jacques Duclos, cite trois fois le mot occupation. Ce terme est précisé une
fois comme l’occupation « de l’armé allemande » mais aucune mention ni condamnation du nazisme ne sont réalisées dans tout le corps de « l’appel ». En réalité cette phrase de « l’appel » condamne « l’impérialisme britannique » et le régime de Vichy « la bande actuellement au pouvoir » (« Jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves et si, malgré la terreur ce peuple a su, sous les formes les plus diverses, montrer sa réprobation de voir la France enchaînée au char de l’impérialisme britannique, il saura signifier aussi à la bande actuellement au pouvoir sa volonté d’être libre. »). C’est donc déformer le texte que de lire dans cette citation partielle un appel à la « lutte résistante » qui serait le pendant civil et populaire de celui de Charles de Gaulle.
« La France veut vivre libre et indépendante » représente l’autre citation invoquée lors des commémorations. Le mot indépendance associé aux termes « France », « nation » ou « peuple » revient 12 fois dans le texte. De même on compte 17 fois l’emploi dans le texte des mots « libre », « liberté », « libération ».
Mais quelle(s) liberté(s) et quelle indépendance Maurice Thorez et Jacques Duclos réclament-ils ?
Il s’agit avant tout de libérer la France « des chaînes du capitalisme » ou des « chaînes de l’exploitation capitaliste ». L’ennemi désigné est donc « le capitalisme générateur de misère et de guerre » incarné par les « impérialistes », « le gouvernement de Vichy (…) des ploutocrates et des profiteurs de guerre », « l’impérialisme britannique ». L’occupation allemande nazie n’est pas une seule fois désignée comme l’ennemi à combattre.
Le mot indépendance est associé quatre fois au terme « paix » notamment dans la revendication par les auteurs d’un « pacte d’amitié franco-soviétique ».
Les historiens communistes et les militants oublient surtout de souligner, dans leurs analyses et citations, l’usage récurrent du mot « paix » par les auteurs de « l’appel ». Ce terme revient 11 fois et figure dans un des chapeaux, intitulé « une paix véritable ».
Les actions préconisées par les auteurs de « l’appel » pour « relever » la France sont « de remettre la France au travail » (expression employée 6 fois dont la typographie apparaît 5 fois en majuscules dans le texte) par une politique de nationalisation des moyens de production, de rétablir les libertés publiques (presse, syndicat, association, de créer des « comités populaires de solidarité et d’entr’aide, dans les syndicats, dans les usines, les villes, les villages ». Sur le plan politique il faut mettre « à la porte le gouvernement de Vichy ! A la porte le gouvernement des ploutocrates et des profiteurs de guerre ! ».
Les citations partielles des commémorations déforment le sens du texte. Des pans entiers du document sont passés sous silence. Il n’est pas possible, en tenant compte du contexte historique de l’été 1940, de faire de ce texte le document fondateur de la résistance communiste contre l’occupant. Il n’avait d’ailleurs pas ce statut entre l'automne 1940 et l'été 1941car il ne fut pas publié dans l’Humanité clandestine. Pas une seule fois les auteurs n’appellent au refus de la défaite militaire et à la poursuite de la lutte, sous quelque forme que ce soit, contre l’occupation nazie. Ce texte, aux accents anti-capitalistes et anti-impérialistes, ne contient pas de référence anti-fasciste et ménage les occupants. Deux références évoquent l’Allemagne en termes très neutres (« A cause de ces hommes – les dirigeants français – la moitié du territoire français subit l’occupation de l’armée allemande »), mais aucune au nazisme ni à Hitler, dans un texte d’environ 20 000 signes. »
Notre conclusion :
Elle sera brève : il serait bien que les mairies PC et celle de Bagnolet en particulier, reconnaissent enfin que ce texte « Peuple français » de fin juillet 1940, rédigé par Jacques Duclos, n’est pas un appel à la résistance.
Cela ne retire rien au mérite des communistes qui individuellement sont entrés en résistance à l’Allemagne nazie dès juin 40, ni au fait que le parti communiste lui-même se soit engagé massivement et héroïquement dans la résistance après l’invasion de l’URSS en juin 1941.
Mais c’est plus conforme au respect que l’on doit à la vérité historique.
Pierre MATHON
Jean MOULIN