Aussi incroyable que cela puisse être, les imams ne sont pas censés parler français dans les mosquées. Une poignée d’entre eux s’y met et c’est heureux. On leur enseigne également la « laïcité » mais la lecture de l’article du Parisien publié ci-dessous en fait apparaître une curieuse conception. Par ailleurs, les imams exerçant dans les prisons, les hôpitaux et l'armée vont avoir l’obligation de se former également. Un décret doit être signé en se sens en 2016.
Lu dans le Parisien.fr du 29 mai 2016 de Carole Sterlé. Pour information :
« Laïcité : les imams se mettent au français
Pour lutter contre les risques de radicalisation de certains fidèles, des imams de Seine-Saint-Denis suivent des cours d'instruction civique. Nous les avons suivi au Parlement européen et à Sevran.
La dernière fois qu'Omar Ayatillah est allé en Belgique, c'était pour acheter une Mercedes d'occasion. « C'est moins cher qu'en France ! » se souvient cet ancien bagagiste de 63 ans, désormais imam à plein temps au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis).
Son retour en Belgique — pays où les ministres du Culte sont payés par l'Etat — était, cette fois, d'ordre plus intellectuel. Avec d'autres imams de Seine-Saint-Denis, il a visité le Parlement européen, où ils étaient attendus par quelques eurodéputés : l'Italien Antonio Talani (Forza Italia), le Britannique Afzal Khan (Labour) ou encore le Belge Philippe Lamberts (Verts), favorable à l'instauration d'un jour férié pour l'Aïd et Yom Kippour.
Ce cours d'instruction civique pour ces natifs du Maroc, d'Algérie, et d'Egypte, arrivés en France il y a entre huit et quarante ans, fait partie d'un programme expérimental mené à Sevran depuis l'automne : douze heures de français par semaine et des visites de musées et d'institutions pour mieux comprendre la société et ses fondements républicains. L'enjeu n'est pas des moindres : chaque semaine, ces huit imams s'adressent à plus de 10 000 fidèles.
«Ça m'a libéré pour parler, avant j'avais les mots mais je n'osais pas»
« Ils transmettent des messages de paix et de respect mais, à la mosquée, 70 % des fidèles ont moins de 30 ans et ne parlent pas l'arabe », résume Yacine Hilmi, l'un des porteurs du projet, également chef d'entreprise et traducteur des prêches à Sevran. Il est convaincu que les imams, souvent à l'ombre des associations qui les salarient, sont en capacité de jouer un rôle plus important dans la société française, notamment en tant que rempart contre l'intégrisme. Il n'a pas eu grand mal à obtenir le soutien de la préfecture de Seine-Saint-Denis : l'ancien préfet à l'Egalité des chances, ex-chef du bureau des Cultes, Didier Leschi, avait favorisé en 2005 la création du premier diplôme universitaire civique pour les imams. Alors, depuis novembre, dans une petite salle municipale du quartier des Beaudottes, à Sevran, ces quelques imams vont tous les matins au cours de français. « Ça m'a libéré pour parler, avant j'avais les mots mais je n'osais pas », avoue Mohammed Bettahar, imam à Montfermeil depuis dix ans et père de quatre enfants. Il avait cherché d'autres cours par le passé, sans succès. Désormais, il fait lui-même, par écrit, puis à l'oral, un résumé de son prêche en français.
« Parler français m'a ouvert une fenêtre sur la société », ajoute Brahim Abderrahim, imam à Sevran et inscrit au diplôme universitaire sur la laïcité. « J'ai compris que c'est grâce à la laïcité qu'il y a de la place en France, pour nous, les musulmans », ajoute ce religieux qui, en 2015, ne parlait pas en public sans interprète. Et il compte bien faire son prêche en français, « inch Allah ! »
« En cours, il faut les arrêter, ils n'arrêtent plus de parler », dit affectueusement leur enseignante, Stéphanie Laroche, fière qu'ils aient tous décroché leur diplôme d'étude en langue française (Delf). Et surprise, ce mercredi, c'est Antonio Tajani, vice-président du Parlement européen en charge du Dialogue interreligieux, qui accepte de leur remettre le fameux diplôme, après un échange sur la radicalisation.
Ses hôtes ont beaucoup à dire sur le sujet. Dans un français encore un peu hésitant, un imam raconte comment il a dissuadé un jeune de 19 ans de partir en Syrie. « Il voulait aller au paradis, mais les textes qu'il lisait étaient faux, ce n'était pas le Coran. J'ai amené des livres, on a lu ensemble et il a compris », résume cet imam, inquiet par ce qui circule sur Internet. Il réclame l'aide du parlementaire. « Je ferai tout ce que je peux pour vous aider », promet Antonio Tajani, qui imagine une mise en réseau d'« imams de la paix » à travers l'Europe.
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Qui sont-ils ?
« Il y a environ 2 300 lieux de culte, on peut dire qu'il y a 1 500 à 1 800 personnes qui exercent la fonction d'imam », explique Bernard Godard, spécialiste de l'islam. Leur âge, leur formation et leur situation administrative varient. Généralement payés au smic par une association, plus de la moitié des imams exercent un métier à côté. Le seul chiffre précis est celui des imams « détachés » par des pays étrangers, pour quatre ans, dans le cadre d'accords bilatéraux : ils sont 30 par le Maroc, 120 par l'Algérie et 150 par la Turquie, précise une source proche du ministère de l'Intérieur.
Les accords prévoient désormais que les nouveaux imams détachés suivent une formation universitaire civile et civique. Il en existe 13 en France : à Paris (Institut catholique, Paris-Sud-Sceaux, Paris-I), Lyon, Strasbourg, Montpellier, Aix-en-Provence, Bordeaux, Lille, Toulouse, Mayotte et, depuis janvier dernier, Nantes et la Réunion.
Ce diplôme universitaire est ouvert à tous. Les cadres religieux y côtoient des fonctionnaires, des entrepreneurs... intéressés par les questions liées à la laïcité.
Deux cent soixante-treize étudiants étaient inscrits à la rentrée 2015, dont 94 cadres religieux musulmans (33 à Mayotte). Un décret doit être signé en 2016 pour imposer cette formation aux aumôniers qui exercent dans les prisons, les hôpitaux et l'armée. »
Pierre Mathon