Il sera dit qu’à Bagnolet, le débat sur la laïcité rebondit en été.
Marc Everbecq vient de réagir, sur son blog, à un texte pertinent et très intéressant que Jean-Claude Seguin avait publié sur le blog du CAC93 : un compte rendu circonstancié d’une réunion de l’AJN (l’Association des Jeunes de la Noue) qui s’était tenue le 24 juin au Cin’Hoche.
On peut sourire de voir le maire oser parler de « politicaillerie » à propos de laïcité, (n’est-ce pas lui qui a fait un lamentable grand-écart au conseil municipal du 30 juin pour donner des gages à ses clients islamistes en refusant de voter le vœu de soutien aux démocrates iraniens ?).
Il est vrai aussi qu’en matière de laïcité ce sont les actes qui comptent et les actes du maire sont lourds (nous y reviendrons)
Il est non moins vrai que la réaction du maire témoigne de ses hésitations et des zigzags de sa pensée en matière de laïcité.
Nonobstant tout cela, nous pensons "indécrotablement" que tant qu’il y a du débat il y a de l’espoir : voici peut-être venu le temps du débat (presque) serein sur la laïcité, que nous appelons de nos vœux.
Vous pouvez lire ci-dessous le texte de Jean-Claude Seguin publié le16 juillet 2009 sur le blog du CAC93 (et reproduit le 19 sur le blog des verts « officiels » de Bagnolet) et la réaction du maire de Bagnolet sur son blog d’aujourd’hui 20 juillet..
A suivre.
Pierre Mathon.
« Le vivre ensemble menacé
Le vivre-ensemble à Bagnolet confisqué par les incendiaires dans la plus grande passivité des élus locaux : le soutien de Marc Everbecq à Ahmadinejad ne sort pas de nulle part !
Par Jean-Claude Seguin
Jeudi 24 juin était organisé par l’AJN (association des jeunes de la Noue) un débat sur la double identité avec comme principal intervenant Stéphane Beaud, sociologue de renom ayant beaucoup travaillé sur les jeunes issus de l’immigration. Les affiches d’appel au débat listaient des thèmes qui structurent ce problème identitaire, avec une volonté manifeste d’aborder la question dans sa complexité. L’introduction de Mohamed Hakem, avec sa double casquette de maire adjoint et d’ancien président de l’AJN, allait également dans ce sens d’ouverture. Mis à part celui du maire, nous ne citerons pas d’autre nom dans cet article pour ne pas semer de polémique inutile.
Tout avait plutôt mal commencé avec une exposition photo aux commentaires tendancieux et souvent provocateurs. Mais cela n’était qu’un premier aperçu « soft », de ce que devait réserver la suite de la soirée. Tout d’abord, un film a été projeté pour « lancer le débat », étrange suite d’interviews censées présenter des « avis différents ». Il s’agissait au contraire – semble-t-il à l’insu du réalisateur présent dans la salle, qui s’est vu imposer, soit disant par manque de temps, la liste des « citoyens » à interviewer ! – une suite de propos entièrement convergents : la société française dans son ensemble aurait été de tous temps foncièrement oppressive et raciste, et les immigrés n’auraient qu’un statut, celui de victime de cette société. Seul un vieil Africain, qui avait pourtant vécu des moments très difficiles à son arrivée en France, a présenté les choses avec un vrai regard critique. Au total une bonne dizaine d’interviewés, pas une seule femme. Sans commentaire.
Mais le pire était à venir. Sentant probablement que le débat serait un traquenard politique, Stéphane Beaud, loin de réagir négativement à ce film caricatural, a commencé par reprendre à son compte quelques phrases du film, abondant sur la critique de la politique actuelle du gouvernement, pour arriver, avec un talent de didacticien impressionnant, à argumenter sur la complexité du problème, sur la nécessaire vision historique et sur la nécessité de proposer des pistes concrètes pour sortir de cette situation.
Il a apporté plusieurs exemples qui montraient que dans d’autres circonstances les repères identitaires, ethniques ou religieux des immigrés de première ou deuxième génération s’étaient progressivement estompés au profit de repères moins communautaires : deux exemples particulièrement bien choisis ont illustré ses propos, celui des immigrés rentrés en masse dans la résistance lors de la deuxième guerre mondiale au travers des FTP-MOI et s’étant forgés par ces actions une identité française mais surtout antifasciste et humaniste (l’impôt du sang), et celui des salariés immigrés de l’automobile des années 70, rentrés massivement dans le syndicalisme et s’étant forgés une forte culture ouvrière.
Ses interventions, pourtant toutes en nuance et appelant au débat sans jamais asséner de position tranchée, avec y compris une prise de position de désaccord avec la loi sur les signes religieux ostentatoires à l’école, ont été systématiquement contrées par des militants associatifs présents dans la salle, particulièrement une poignée d’« Indigènes de la République » venus mettre de la tension dans le débat. Très rapidement, après la république raciste, oppressive et colonialiste, est venue l’accusation d’« islamophobie » (toujours la loi sur les signes religieux), leitmotiv habituel que cette mouvance politique partage avec les tenants de l’islam politique – également très présents dans la salle. Toute une série de propos haineux, visant non pas la politique du gouvernement, mais la république laïque : à une participante qui faisait remarquer que le kärsher et l’identité nationale, c’était la France de Nicolas Sarkozy et pas toute la France, les militants des « Indigènes » ont évidemment réagi pour dire que la Gauche, Parti Communiste en tête, était encore pire, en prenant l’exemple d’André Gérin, maire de Vénissieux, à l’origine de la commission parlementaire sur le port du nikhab – abusivement appelée burka.
Et c’est là que la gravité de la situation à Bagnolet peut se mesurer : face à tous les propos haineux, y compris vis-à-vis de tout ce qui a fait l’identité de la gauche, laïcité en tête, les deux élus communistes présents dans la salle n’ont absolument pas cherché à ramener le débat sur le terrain idéologique, sur la citoyenneté, l’égalité des sexes ou autre valeur de la gauche. Pire encore, ils ont pris deux fois la parole, en tout et pour tout, et uniquement pour se justifier de manière complètement défensive face aux accusations vis-à-vis du PC : ils avaient mis une personne issue de l’immigration en deuxième position sur leur liste électorale (ouf, sinon ils ne sortaient pas vivants), et ils se démarquaient d’André Gérin (sans même préciser qu’ils étaient au moins gênés par la montée en puissance des voiles intégraux chez les femmes musulmanes !)
Il est vrai que le débat avait pris un tour tellement terroriste que cela rendait toute intervention de contre-argumentation, même mesurée, très difficile. Mais de là à « se déculotter », quand on représente la municipalité dans un débat aussi « chaud », cela en dit long sur l’état des pratiques et des réflexions politiques à Bagnolet, particulièrement sur la place dans la majorité municipale et surtout à la tête de l’administration de la ville, des pratiques communautaristes et anti-laïques. On voit bien que le soutien passif du maire de Bagnolet et de plusieurs élus de la majorité à Ahmadinejad, par le refus de voter au conseil municipal le vœu rédigé par toute la gauche (communistes compris) au niveau national, n’est pas un hasard ni un accident. Mais là où le maire et sa garde rapprochée se sont finalement trompés, c’est que les réactions commencent à se multiplier à Bagnolet, avec tout récemment ce vœu finalement voté contre son gré, et ce malgré l’irruption de certains jeunes pendant le conseil municipal, et le tollé qu’a suscité à la fête de la ville la place de l’association musulmane fondamentaliste « Amatullah ».
Mais pour en revenir à cette soirée débat, il y a d’autres motifs d’inquiétude : comment ne pas réaliser que n’importe quel citoyen normalement constitué, même le plus progressiste et le plus tolérant, ayant assisté au débat ressent nécessairement, consciemment ou non, un malaise vis-à-vis de toute la communauté musulmane ? (On l’a bien compris, la « double identité », thème du débat, a été réduite par la salle à l’identité française et musulmane). Sans parler du comportement de n’importe quel chef d’entreprise qui fait de la « discrimination ordinaire » et sera complètement conforté dans son comportement par une telle vision des jeunes issus de l’immigration ? Autrement dit, comment ne pas comprendre, quand on est responsable politique ou associatif, que de tels débats caricaturaux et haineux sont de purs générateurs de racisme, capable de ranimer un FN à l’agonie ? Comment la Parti Communiste de la laïcité et des FTP-MOI a-t-il pu tomber aussi bas dans ses analyses politiques ?
Face à cette complaisance avec les incendiaires, et pour que des initiatives aussi louables que celle qu’a tenté l’AJN ne puissent plus être confisquées de la sorte, il est grand temps que tout ce que la ville comporte d’humanistes, d’universalistes et de militants de la laïcité et du droit des femmes s’implique dans les débats et dans la vie associative de la ville, aux côtés des associations de jeunesse, pour construire ce vivre-ensemble menacé de toutes parts. »
« Lundi 20 juillet 2009
Depuis des mois et des mois et des mois les verts de Bagnolet n'ont qu'un seul credo : baver sur la mairie de Bagnolet, sur le maire, sur les communistes, etc. Pourquoi s'en émouvoir me direz-vous, c'est le lot habituel du combat politique ? Et bien non. Ce que les verts de Bagnolet font ne relève pas de la confrontation politique. Ils recourent systématiquement aux mensonges, aux amalgames, à la stigmatisation, aux procès d'intention, aux ragots, etc. Leur dernier article publié sur leur blog est encore une fois à cette image lamentable. Le titre est comme d'habitude spectaculaire : "le vivre-ensemble est menacé à Bagnolet". Bigre ! Que se passe t'il encore, après la "faillite" de la mairie, après le soutien du maire à Ahmadinejad, après je ne sais quoi encore ? Les verts veulent tout simplement apporter la preuve que le maire met à mal le vivre ensemble. Pour cela on prend une réunion publique organisée par une association (AJN), dont l'ancien président est actuellement adjoint et on procède à des amalgames. Qui dit AJN, dit maire, dit aussi jeunes de Bagnolet, dit ensuite jeunes issus de l'immigration, dit frustration identitaire, dit dès lors incapacité des communistes à répondre, dit que ce sont les Indigènes de la République qui remplissent ce vide, dit que à partir de là on s'en prend à la république et à la laïcité, dit pour finir que tout celà revient en fait à un message de haine et de rejet de la France et de ses valeurs laïques tenu sous l'autorité du maire de Bagnolet avide de populisme. Voila le tour de magie auquel nous assistons. C'est tout simplement lâche et répugnant.
Pour ma part je n'aurai pas cette lâcheté d'esprit. Il s'avère que j'ai bien des désaccords avec l'initiative de l'AJN dont je trouve les inspirations idéologiques problématiques surtout quand on est une association qui bénéficie de nombreuses subventions publiques venant de la Préfecture et de la mairie. Je le dis ici clairement, je ne peux pas accepter que l'on laisse dire que la république ou que la France sont par essence racistes. Cela n'est pas vrai. On ne peut non pas non plus dire aux jeunes qu'ils ont une double identité. Car cela n'est pas vrai. On a une seule identité. Celle de sa propre personne. Avoir deux identités s'appelle de la schizophrénie. Je ne pense pas que le débat voulait arriver à parler de la schizoprénie dans la jeunesse issue de l'immigration. Ce qui est vrai en revanche c'est que la France et la République maltraitent les immigrés depuis bien trop longtemps. Ce qui est vrai c'est que la France depuis plus d'un siècle cherche ses valeurs idéologiques et se trouve capable de produire le meilleur (assez rarement) comme Jaurès, le Front Populaire, la Résistance, l'engagement anti-colonial, mai 1968, l'union de la gauche, mais se trouve bien plus souvent en situation d'accoucher de monstres : anti-dreyfus, guerre de 14-18, ligues fascistes, collaboration avec les nazis, colonistaion, Le Pen, stigamatisation de la banlieue, rejet des pauvres, maltraitance contre les classes populaires considérées comme dangereuses. Oui, notre pays se cherche et le combat politique et social est permanent. Aujourd'hui, au moment où la classe ouvrière n'existe plus dans ses contours d'antan, le combat se mène depuis une autre position. Ce sont les jeunes de nos banlieues qui ressentent le plus vivement cette confrontation. Ils ont raison.
Mais pour mener ce combat certains pensent qu''il faut tenir le discours suivant, un peu inspiré des Indigènes de la République : la France ne veut pas de nous, non pas parce que nous sommes les pauvres (regardez les difficultés de recherche d'emploi des jeunes qualifiés) mais parce que nous sommes les immigrés. Nous aurons beau mettre des jeans, parler un français impeccable, avoir fait des études, avoir réussi socialement, nous resterons des étrangers et serons stigmatisés pour cela. C'est la preuve que les difficultés viennent de ce que la France et la République sont foncièrement racistes. Donc il n'y a pas à tomber dans le panneau de l'intégration, dans le panneau de la société de consommation, dans le panneau des valeurs culturelles et morales de la France, il faut rejeter tout cela, le mettre en cause car ce sont nos chaines, et construire chaque jour une contre-identité d'affrontement du genre : je ne me sens pas Français, et donc la France doit m'accepter tel que je suis sans discuter, c'est mon droit.
Toute cette cohérence me pose problème. Certes, je comprends l'exaspération des jeunes en but à tous ces phénomènes qui ont une dimension de rejet très forte. La colère est légitime. Mais je ne voudrais pas que cette colère restreigne le champ de vision. Je ne pense pas que la solution réside dans la pratique du bras d'honneur à la France et à la République en disant "je suis de telle origine et je vous emm..rde." Une telle posture ne bâtit rien. Elle permet simplement de s'identifier par rapport aux autres. Or cela ne peut pas suffir. Car la France et la République sont marquées par un système d'exploitation et de domination qui sévit très largement au-delà des seuls immigrés. Et oui nous vivons dans un système qui s'appelle aussi le capitalisme, qui a des logiques très particulières. Et en tenant ce discours politique, ces jeunes se coupent des possibilités de se faire comprendre convenablement des autres. Je pense que tout l'enjeu de la période n'est pas de mettre à bas la République mais de la réinventer en faisant émerger une nouvelle république. C'est là que les jeunes ont un rôle majeur à jouer. Car en transformant la république de façon à ce qu'elle devienne une république métissée, ouverte à toutes et tous, démocratique, respectueuse des diverses origines culturelles nous ferons avancer considérablement notre société. Une révolution en somme. Quelle belle perspective. Raison de plus pour ne pas se contenter d'interpeller la société depuis la marge (sociale ou politique) d'où l'on se croit fort. La force ne vient pas de là. La vraie force, c'est de parvenir à interpeller l'ensemble de la société, de façon majoritaire, pour que tous ensemble nous puissons être les acteurs du changement auquel nous aspirons tous. Nous devons être capables, chacun d'entre-nous, de maitriser nos racines culturelles, d'en être fiers, de les verser dans la construction commune d'une nouvelle république, et d'apprendre aussi à nous dépasser pour nous élever ensemble et commencer à construire, ici, à partir de nos réalités, à partir de la France, la république universelle de citoyens égaux et libres dont tous les hommes et toutes les femmes de la planète ont besoin pour vivre en paix.
Voilà en quelques mots ce que je ressens. On le voit, nous sommes très loin du procès intenté par les verts de Bagnolet qui en passant leur temps à diviser les Bagnoletais ne contribuent pas à cet immense effort d'éducation politique qu'à besoin notre ville, la gauche en général, et notre peuple pour parvenir à bâtir les futurs rassemblements majoritaires dont a besoin la transformation sociale. Pour cela, il faut rejeter la provocation et la politicaillerie et ouvrir le débat politique. »
Photos :
- la statue du Chevalier de la Barre (à Montmartre), victime de l'intolérance religieuse au 18ème siècle,
- le tee shirt de Léa (Laïcité Ecologie Association) avec la citation de Salman Rushdie ("Pour prouver que les fondamentalistes ont tort ...")
- et la rue de la Barre Nouvelle à Bagnolet, appelée à redevenir la rue du Chevalier de la Barre.