Jeune Afrique publie un article dénonçant le racisme d'État de l'Algérie.
Le racisme est un fléau, une injustice, un cancer. Il sévit partout dans le monde. Ici, certains anti-racistes autoproclamés sont prompts à dénoncer le racisme réel ou supposé qui a lieu en France (le racisme est puni par la Loi en France) mais sont bizarrement saisis de cécité quand le pire des racismes s'exerce dans des pays voisins. Et, fait aggravant, quand ce racisme est un racisme d'État. C'est le cas de l'Algérie. Le silence de ces « anti-racistes » est assourdissant et leur anti-racisme chevillé au corps pour accuser les Français est à géométrie bien … variable.
Voici l'article paru dans Jeune Afrique :
« Algérie : une « chasse à l’homme noir » qui fait scandale
Bloqués entre leur pays honni et une Europe onirique, des milliers de migrants subsahariens sont la cible, en Algérie, d’une véritable chasse à l’homme depuis le 1er décembre. Des méthodes d’expulsion expéditives qui inquiètent les défenseurs des droits humains…
Si la réputation de l’Afrique subsaharienne s’est longtemps construite autour de ces safaris animaliers où des touristes du Nord viennent poursuivre des animaux exotiques, l’Algérie semble passée maître dans une traque dont le gibier – lui aussi d’Afrique subsaharienne – est humain. Rien à voir avec « Hunger Games » et son scénario morbide, mais l’opération indigne tout de même nombre de défenseurs des droits humains. Essentiellement concentrée sur la capitale, une vaste « battue » a débuté le 1er décembre. Objectif : rafler et expulser au moins 1 400 migrants ouest-africains du territoire algérien. Les arrestations conduisent à des cantonnements temporaires dans des camps de la périphérie ouest d’Alger ou de Tamanrasset, dans le grand Sud.
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement algérien entreprend ce genre de bannissements musclés. Pendant les fêtes de l’année 2014, c’est dans la ville d’Oran que les forces de police avaient ciblé les Nigériens en situation irrégulière, arrêtant indistinctement des milliers d’hommes noirs. Au mois d’août dernier, ce sont plus de 400 migrants maliens qui avaient été rapatriés de Tamanrasset à Bamako.
Supposé nirvana européen
Même si des traitements inhumains à l’égard des Subsahariens sont déjà régulièrement dénoncés dans la société algérienne, la nouvelle traque massive est particulièrement inquiétante. Ce dimanche, le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique, Snapap, dénonçait « la plus grande chasse à l’homme noir depuis l’indépendance ».
À ce jeu de cache-cache, tout le monde n’a pas souhaité participer. Dans la capitale algérienne, pourtant, des milliers de clandestins subsahariens en sont réduits à se cacher, suscitant l’interrogation des observateurs de passage : pourquoi vivre ainsi dans un environnement hostile ? C’est que l’Algérie, prétendue antichambre du supposé nirvana européen, est un temporaire qui s’éternise pour bon nombre de Nigériens, Nigérians, Libériens, Camerounais, Guinéens ou Maliens. Bloqués dans leur périple vers l’Union européenne, ils s’enlisent dans la clandestinité, organisant leur vie dans des chantiers devenus tout à la fois lieux de travail et lieux de résidence, entre le marteau d’une Europe franchement inamicale et l’enclume d’une Afrique subsaharienne pas forcément très accueillante… »
Kamel Daoud, dans le même media, analyse de son côté :
« D’une part, on peut lire des articles violents sur le racisme en Europe, qui décrivent la « jungle » de Calais comme une espèce de camp de concentration et présentent des raccourcis mensongers : « Pas de travail en France si vous êtes arabe ou africain », titrait un journal islamiste fin février. D’autre part, on trouve des analyses dignes du Ku Klux Klan sur la menace que représenteraient les Noirs, avec leur incivisme, et les crimes et maladies qu’ils nous apporteraient. Cette duplicité est curieuse, mais, surtout, elle est commode et ravageuse.
Abus chez les autres, nécessité chez soi
Début mars, à Ouargla, l’une des principales agglomérations du Sahara algérien, des affrontements ont eu lieu entre locaux et Subsahariens après l’assassinat d’un Algérien par un Nigérien. Le fait divers s’est vite transformé en vendetta populaire – avec une chasse aux migrants dans les rues, qui a fait plusieurs dizaines de blessés, et une attaque contre un camp de réfugiés. Les autorités ont ordonné le transfert massif de migrants vers un centre d’accueil dans une ville plus au sud, prélude habituel à une expulsion du pays. Des faits similaires se sont reproduits à Béchar, dans l’Ouest.
Cette vague de xénophobie, d’une violence sans précédent, a dévasté le Sahara algérien sans soulever d’objection massive : la dénonciation du racisme est généralement réservée pour les crimes de l’Occident. Abus chez les autres, nécessité chez soi. Mais comment en arrive-t-on à reconduire soi-même ce que l’on dénonce ailleurs, et visiblement sans se sentir coupable ?
Comment la victime de racisme se construit-elle une conscience raciste à son tour ? En Algérie, les élites laïques et de gauche se sont rendues myopes en cultivant le traumatisme colonial comme seule vision du monde. Les Noirs, perçus comme décolonisés ou décolonisateurs, sont soit défendus, soit idéalisés. Ils ne sont même plus une différence, juste une représentation de nos propres préoccupations.
Dans leurs discours contre l’Occident, les bien-pensants algériens imaginent protéger les Noirs en dénonçant le racisme ambiant. Mais pas question pour autant qu’ils aillent visiter les tristes camps de réfugiés et, a fortiori, qu’ils vivent avec des Noirs, leur donnent leurs filles en mariage ou leur serrent la main en saison chaude. Les Algériens laïcs désignent souvent les Subsahariens par le mot « Africains », comme si le Maghreb ne faisait pas partie du même continent.
L’ambiguïté d’une conversion religieuse comme voie de sortie
Les intégristes religieux ne sont pas moins racistes. À l’occasion d’un match de football entre l’Algérie et le Mali en novembre 2014, le journal islamiste Echourouk publiait une photo de supporters noirs sous le titre « Ni bonjour, ni bienvenue. Le sida derrière vous, l’Ebola devant vous ». Mais les préjugés des religieux les mènent à une autre équation, simple et monstrueuse : l’Autre est musulman ou il n’est pas.
Lorsqu'on est noir, adhérer à l'islam n'est pas gage de sécurité
Les conservateurs religieux, comme les élites laïques, voient les Noirs comme victimes de l’injustice des Blancs colonisateurs, mais à leurs yeux la réparation n’est possible qu’avec l’aide d’Allah. Leur propagande rappelle souvent cet exemple de la mythologie des premières années de l’islam : Bilal, l’esclave abyssinien noir, rendu libre par sa conversion religieuse.
Seulement, pour chaque Bilal, il y a des millions d’autres Noirs, y compris des convertis, qui sont restés enfermés dans la servitude pendant des générations. L’esclavagisme arabe est d’ailleurs encore aujourd’hui un sujet tabou ou escamoté par les jugements portés contre l’esclavagisme de l’Occident.
Reste que lorsqu’on est noir, adhérer à l’islam n’est pas gage de sécurité. Il suffit du crime d’un seul pour que des centaines d’autres connaissent l’expulsion. Les expéditions punitives à Béchar ont éclaté un vendredi, jour de la grande prière hebdomadaire, après des prêches appelant à la purification en réponse aux mœurs des migrants, perçues comme légères. Pour les conservateurs religieux, la culture détourne les Subsahariens de l’orthodoxie stricte – et donc même les Noirs musulmans ne sont pas vraiment musulmans. »
Hélène Zanier