Notre amie Véronique Decker est institutrice depuis 30 ans et directrice d’une école élémentaire « Freinet » à Bobigny. Elle a écrit un petit livre (Trop classe ») d’où nous extrayons ce chapitre 20
« 20. ROMS
Je n’ai pas choisi d’avoir des enfants roms dans mon école. Cela s’est trouvé comme ça. Un hasard lié au patrimoine industriel effondré, qui permettait aux familles de construire des bidonvilles à Bobigny plus qu’à Neuilly et à la présence d’une classe d’accueil pour « non-francophones ».
Tout est venu petit à petit. Chacun d’eux nous a posé des questions. Comment faire pour scolariser des enfants qui n’avaient pas appris tout ce qui s’apprend en maternelle : attendre son tour, ne pas frapper, rester appliqué sur une tâche, ranger le matériel. Nos premiers élèves roms nous ont fait damner. Nous ne savions pas bien faire et eux non plus.
Mais nous n’avons pas lâché prise. Et puis il y a eu un incendie, puis une expulsion, puis d’autres expulsions, encore un incendie, toutes ces misères des bidonvilles qui nous ont renvoyés dans le XIXe siècle, avec son lot de misère, de rats qui mordent les bébés, de Cosette et de Fantine..
Là où beaucoup d’écoles ont baissé les bras comme dans l’histoire de la petite souris tombée dans une jatte de crème, nous avons continué à agiter la crème pour qu’elle devienne beurre et que nos élèves puissent prendre quelques appuis, même glissants. Alors, d’autres enfants roms sont venus.
Après, je suis devenue l’égérie des Roms. Comme s’il était extraordinaire de les avoir acceptés dans une école, épatant qu’ils y apprennent quelque chose et surprenant qu’ils ne nous aient pas égorgés vifs dans les couloirs de l’école. Il y a même eu des caméras pour filmer nos « réussites » comme si les progrès de nos élèves roms n’étaient pas dus à leurs efforts mais aux nôtres, comme si leurs difficultés n’avaient aucun lien avec les conditions sociales dont ils sont victimes.
Je n’ai aucun attachement particulier pour « les Roms ». J’aurais fait de même si des enfants du Zimbabwe étaient venus vivre à Bobigny dans des bidonvilles. Et s’ils avaient été suédois, je n’aurais pas changé d’opinion. Comme pour les autres élèves et leurs parents, certains sont sympathiques, d’autres moins, mais le droit de chaque enfant à apprendre durant l’enfance plus que ses parents peuvent lui transmettre est pour moi identique. Jusqu’à l’arrivée des Roms j’avais naïvement cru que cette idée était partagée largement par l’ensemble de la population, et qu’après les tirades de Victor Hugo sur les prisons qui seraient fermées par l’ouverture des écoles, tout le monde avait bien réfléchi.
Non, le XXe siècle avait pensé qu’un million de Juifs pouvait créer un million de chômeurs en France, le XXIe siècle réussit à croire que 20 000 Roms venus en France créent cinq millions de chômeurs…
C’est dire si le niveau en maths baisse. » .
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