Voici l’article de notre ami Fabrice Nicolino, un des rescapés du massacre du 7 janvier, dans le Charlie du 21 octobre :
« POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE
LES NITRATES ET LES ALGUES VERTES, ILS S’EN COGNENT
Somptueux bras d’honneur des chambres d’agriculture de Bretagne, tenues par la FNSEA. Dans un courrier délirant, elles demandent aux paysans de la région de ne plus déclarer leurs émissions d’azote, qui contribuent à l’acidification des milieux. Après ça, qui osera protester ?
Tout le monde le sait, à commencer par les célèbres « exploitants agricoles » associés, le gouvernement cède. Jamais aux gueux, aux vrais paysans et aux prolos lourdés du jour au lendemain, toujours aux riches, aux puissants et, à défaut, aux bonzes de la FNSEA, ceux qui bricolent la politique agricole avec le ministère de la rue de Varenne depuis soixante-dix ans.
Des nouvelles de ce front inlassable ? Y en a, oui. D’abord, un hors-d’œuvre aux oignons : la belle et noble association Eau et Rivières de Bretagne (ERB) – Jean-François Piquot, salut ! – attaque au tribunal un arrêté préfectoral. À la fin 2014, le préfet des Côtes-d’Armor autorisait l’ouverture d’une porcherie géante de 1 000 truies. Après les 1 000 vaches, les 1 000 truies. Et où vont les fleuves de merde ? Dans « les sources et ruisseaux » de ce « château d’eau de la Bretagne » comme l’explique Eau et Rivières (www.eau-et-rivières.asso.fr).
Mais il y a mieux en plat de résistance. Les chambres d’agriculture de Bretagne, toutes les quatre aux mains de la FNSEA – elles tiennent le pouvoir et le fric -, viennent d’adresser aux pedzouilles de la région un appel à violer la loi. Quelle loi, amis républicains ? Celle qui impose de déclarer tous les « flux d’azote produits, importés ou exportés » sur les « exploitations agricoles de Bretagne ». Or, l’azote est à l’origine des nitrates. Or les nitrates polluent massivement les eaux douces avant de provoquer, dans les estuaires et les plages, de somptueuses bouillies vertes qu’il faut évacuer avant qu’elles se changent en hydrogène sulfuré, gaz mortel.
Question mille fois posée : d’où vient ce foutu azote ? Réponse itou : pour l’essentiel, de la merde des animaux prisonniers, comme les porcs, et des engrais azotés qu’on balance pour faire pousser le maïs industriel. Quand elle n’est pas contaminée, l’eau ne contient de nitrates que la trace : disons 0,1 mg par litre d’eau. Grâce à l’agriculture industrielle, elle compte maintenant en Bretagne 35 mg en moyenne, avec des pointes à 200. Dès qu’une eau – celle des rivières ou des nappes – atteint 100 mg par litre, on n’a même plus le droit de la traiter pour en faire une « eau potable ».
MONSONGES ACCEPTÉS
Renevons6en aux chambres d’agriculture de Bretagne. Le 28 septembre, leurs présidents respectifs adressent une lettre aux paysans de la région. Vu que l’administration « vous demande de déclarer les flux d’azote de votre exploitation », et que les cas de dépassement pourraient entraîner des sanctions, « nous ne pouvons accepter ces mesures qui auraient pour impact économique une baisse d’environ 3 % de l’excédent brut d’exploitation (EBE) pour une ferme moyenne ». Et de demander solennellement de casser le thermomètre « et de pas remplir la déclaration des flux d’azote 2014-2015 ».
Cela n’a peut-être l’air de rien, mais c’est un peu comme filer un coup de boule à l’employé du gaz. Valls, qui hurle à la mort contre les syndicalistes d’Air France déchireurs de chemises patronales, ne dira évidemment rien, tout occupé à digérer son dernier déjeuner avec Xavier Beulin, le seigneur et maître de la FNSEA. Heureusement, il y a les autres.
La Confédération paysanne de Bretagne – qu’on peut gentiment qualifier de modérée – parle de « mensonges et irresponsabilité » des chambres d’agriculture. Et ajoute, sans élever le ton : « Détourner l’attention des agriculteurs de la reconquête de la qualité de l’eau paraît une stratégie dangereuse pour la profession tout entière. » Eau et Rivières, bien moins précautionneuse, rappelle que cette lettre « est hallucinante et scandaleuse de la part des chambres d’agriculture, établissements publics financés par l’impôt ! ». Eh oui, les gros pères qui tiennent le manche sont payés par l’impôt.
Le ministère de l’Écologie – hi, hi – a été saisi par l’association. Le ministère de l’Agriculture a été saisi – hi, han -, le conseil régional – hou, hou – aussi, de même que tous les préfets de Bretagne. On va voir ce qu’on va voir. C’est-à-dire rien. Papa Hollande et sa bande préparent les régionales et bien sûr la présidentielle. Rien. Nib.
Fabrice Nicolino »
